État des lieux de la mesure d’impact climatique et environnemental de la publicité.

Article RSE 22.04.2024
Par Deffay Sylvain

Sylvain Deffay, Senior Manager Media, expert en marketing digital est aussi à la tête de notre proposition Data4Sustainability. Il nous partage ici la nécessité de se lancer rapidement dans la mesure d’impact climatique des campagnes publicitaires, digital ou non.

A retenir :

  • La filière de la publicité s’engage aussi vers un monde plus durable, sous la pression des institutions. Elle s’autorégule notamment via les contrats climats.
  • Entré en vigueur en 2023, le décret BEGES impose désormais de prendre en compte les émissions indirectes (Scope 3) des entreprises cotées dans leur bilan carbone. Le marketing, dont le poids augmente dans les dépenses des entreprises, n’échappe pas à ce nouveau paradigme.
  • Une mesure précise de l’impact carbone et/ou environnemental de la publicité est un exercice compliqué, du fait des multiples méthodologies, référentiels, types de média et d’acteurs présents sur le marché.
  • L’expertise actuelle se concentre principalement sur la mesure de l’impact carbone des campagnes. La mesure de l’impact environnemental, à la fois plus complète et plus complexe, reste en développement.

Une prise de conscience de la filière publicitaire

En 2021, la Convention Citoyenne pour le Climat proposait plusieurs mesures de régulation de la publicité et poussait pour la mise en avant de produits et initiatives vertueux pour changer les mentalités. 

En a résulté dans la loi Climat et Résilience l’obligation pour certains annonceurs de s’engager, à travers un “contrat-climat”, à favoriser la transition écologique dans leurs communications commerciales. Deux grands axes d’amélioration sont prônés  :

1/ la mise en avant des nouveaux récits de consommation : produits et services plus durables, comportements de consommation responsables (réparation, seconde main etc..)

2/ la réduction de l’impact climatique et environnemental de la publicité : de leur création à leur destruction, en passant par la diffusion. 

Les contrats-climats s’alignent évidemment avec les trajectoires carbones déjà annoncées par certaines entreprises, et dont les obligations de reporting viennent de se renforcer par deux réglementations récentes. Le décret BEGES et la CSRD obligent notamment les grands groupes à un reporting détaillé des émissions de gaz à effet de serre de leur chaîne d’approvisionnement.

Ces contraintes posent la question de la mesure de l’impact climatique de la communication, particulièrement dans un contexte où les dépenses marketing augmentent dans les entreprises(1).

 

Émissions carbone ou impact environnemental, deux méthodes de mesure distinctes

La première question à se poser quand on souhaite évaluer ses campagnes média est celle de la méthode de mesure. Il existe à l’heure actuelle deux approches distinctes, mais complémentaires :

  • L’approche climatique : il s’agit de la mesure des émissions de gaz à effet de serre (GES) : 6 gaz retenus par le GIEC sont convertis en tonnes équivalent CO2 (tCO2e) en fonction de leur pouvoir de réchauffement global. Cela permet des comparaisons. Cette approche fait appel à la notion de Scopes 1,2 et 3 pour classifier les sources d’émissions de GES. Les investissements publicitaires figurent dans le scope 3 d’un annonceur : agences, studio créas et régies médias en sont les principaux fournisseurs.
  • L’approche environnementale : L’association interprofessionnelle des agences média (UDECAM) a été pionnière en utilisant la méthode Product Environmental Footprint (PEF) pour mesurer l’impact des campagnes publicitaires en mai 2023(2) . Cette méthode va au-delà de l’empreinte carbone, en mesurant 16 catégories d’impacts environnementaux différents. C’est la méthode prônée par la commission européenne pour l’affichage environnemental des produits et services dans l’UE (avec l’habillement et l’alimentation en secteurs prioritaires).

Actuellement, l’approche climatique est la plus reconnue et utilisée par le marché publicitaire, car elle est la plus alignée avec la réglementation en termes de bilan carbone des entreprises. Des référentiels propres ont été développés pour chaque levier par les associations interprofessionnelles  (digital, radio, TV, affichage,…). Ces différents référentiels sont réunis par l’Union des Marques dans l’initiative One Frame(2)

L’approche environnementale de l’UDECAM, même si plus complète, souffre encore de lacunes, comme l’utilisation de moyenne par levier, réduisant sa précision, ou un faible taux d’adoption par le marché, du fait de sa récence.

 

Un marché de plus en plus mature, mais encore complexe

Une fois la méthode choisie, réaliser un calculateur fiable est une étape complexe, car la mesure d’une campagne média ne se limite pas à sa seule diffusion, comme montré dans le schéma ci-dessous de l’Union des Marques (1):

La construction d’un outil « in-house » nécessite de se faire accompagner pour sélectionner le ou les bons référentiels de mesure et mettre en place une remontée des données pertinentes à intervalles réguliers.

Pour adresser ce challenge, des acteurs SAAS ou de conseils ont émergé pour accompagner les entreprises dans la mesure et l’optimisation carbone de leurs campagnes média. On peut classer ces acteurs dans 3 grandes catégories :

  • Les mesureurs: ces plateformes fournissent des référentiels et leurs bases de données de facteurs d’émissions pour mesurer les émissions carbone de l’ensemble du cycle de vie d’une campagne. Ces méthodes s’appliquent ensuite à des données qu’elles collectent ou qui leurs sont transmises. On distingue des mesureurs mono-leviers (comme Impact+) et multi-leviers (comme Cedara ou D-K.io).
  • Les collecteurs : ces acteurs, majoritairement actifs en digital, intègrent des mesureurs à leur outils de diffusion ou mesure des campagnes. Ce sont des services souvent facturés sur un supplément de CPM en plus de l’achat média. Citons par exemple un vérificateur comme IAS (associé à Good-Loop) ou un DSP & AdServer comme Adform.
  • Les optimisateurs : agissant au niveau de la campagne, ces acteurs vont s’appuyer sur des mesureurs et proposer d’optimiser en temps réel les émissions de GES. Du fait de la granularité et de l’instantanéité de la donnée nécessaire à leur fonctionnement, ces acteurs agissent la plupart du temps sur le scope digital programmatique. On pourra citer Greenbids et Scibids.

A ce paysage d’acteurs variés s’ajoutent encore des couches de complexité : 

  • Les médias sont très différents (la mesure carbone de l’affichage et de la vidéo digitale n’ont par exemple pas grande chose à voir.). Il est donc nécessaire de tout ramener à un facteur d’émission commun (émissions pour 1000 contacts par exemple).
  • Il n’existe pas de référentiels internationaux et les mix énergétique différent selon les pays compliquent la mesure au niveau international.

 

La mesure, seulement un point de départ

La mesure de l’impact carbone et environnemental de la publicité est donc un écosystème complexe. De plus, la mise en place de cette mesure nécessite le concert de plusieurs équipes  : Média (pour la connaissance des différents leviers), Data (pour la construction de dashboards et de la mise en place de flux de données) et RSE (pour inclure l’initiative dans une trajectoire carbone globale). Ces expertises, qu’un cabinet de conseil comme Converteo maîtrise bien, ne sont pas toujours directement disponibles chez les marques.

Mais la mesure n’est qu’un début avant d’autres challenges, résumés par la séquence ERC (Eviter, Réduire, Contribuer) :

  • Eviter : Modifier à la source sa communication, notamment via l’usage de MMM intégrant un KPI d’émissions de GES 
  • Réduire : Dès lors que les impacts négatifs ne peuvent pas être pleinement évités, mettre en œuvre des stratégies d’optimisation de ses campagnes publicitaires pour les limiter au maximum.
  • Contribuer : Pour compenser durablement les impacts négatifs restants, mettre en œuvre des mesures contributives pérennes afin de les neutraliser efficacement.

A l’heure actuelle, toutes les associations interprofessionnelles (Agences et Médias) s’activent sur le sujet mais celui-ci peine à dépasser le premier cercle des spécialistes de l’achat média (seulement 13% d’annonceurs (vs. 27% d’agence et 32% d’adtech) composent le panel State of Readiness – Sustainability in Digital Advertising report 2024 de l’IAB). Un mouvement provenant à la fois du haut et du bas du marché sera pourtant nécessaire pour une pleine adoption.

Partant de ce constat, sensibiliser et former les annonceurs à ces questions de mesure semble être la façon la plus efficace de mettre le sujet sur le devant de la scène. C’est pour cela que l’acculturation est pour nous la première étape d’un cheminement global que doit avoir une direction marketing sur le sujet de la mesure climatique et environnementale. Savoir, c’est ensuite avoir la possibilité d’expérimenter et de choisir in fine la ou les solutions les plus optimales pour son entreprise.

 

Sources:

(1): https://uniondesmarques.fr/l/library/download/urn:uuid:1b11d1c5-a258-4cf1-b486-86c1ab21523e/07_faire-udm_guide_reduireempreintecarbone_a4-2023.pdf

 

Contributeurs : Thomas Mainetti 

Par Deffay Sylvain

Senior Manager Media