Croissance du e-Commerce : les chiffres 2012 commentés
J’ai eu le plaisir de pouvoir commenter le 10 mai dernier sur BFM Business la croissance des ventes en ligne en France. Pour mémoire, la FEVAD (Fédération de l’e-Commerce et de la vente à distance) a publié son baromètre trimestriel avec notamment une croissance de Q1 2011 à Q1 2012 de +24% pour s’établir à un volume de 10 milliards d’euros. Nous réalisons aujourd’hui en un trimestre le volume de vente réalisé sur toute l’année 2006. Naturellement, ces chiffres sont perçus comme très positifs par l’ensemble des acteurs du secteur, car ils permettent notamment de peser auprès des directions générales et des politiques pour leur montrer que ce dynamisme doit être soutenu par des investissements et des dispositifs législatifs favorables.
Croissance du nombre de cyberacheteurs sur le 1er trimestre de +11%
Au-delà du volume global de ventes, il convient de se replacer au niveau du consommateur et des acteurs du marché. Tout d’abord, la croissance du nombre d’acheteurs en ligne n’est que de 11% pour s’établir à 31 millions de cyberacheteurs sur la période. Ce n’est donc pas seulement l’arrivée de nouveaux consommateurs qui explique la croissance du volume de ventes, mais également la fréquence d’achat.
Le journaliste de BFM me faisait justement remarquer qu’il y avait encore un potentiel de 15 millions de consommateurs. A mon humble avis, la réalité est de l’ordre de la dizaine de millions, puisqu’un consommateur n’achète pas forcément chaque trimestre et qu’au sein d’un foyer, une seule personne peut réaliser des achats pour l’ensemble de sa tribu. Le nombre d’acheteurs sur la période n’est pas donc le nombre d’internautes ayant déjà réalisé un achat en ligne et au final, la croissance du nombre de consommateurs risque de s’éroder sur les 3 prochaines années. D’ailleurs, jamais aucun e-commerçant ne s’est fixé à son niveau la mission de convaincre “les inactifs du e-commerce”, il leur est déjà difficile de les convaincre d’acheter sur leur site et de les fidéliser. Mais si on étudie le comportement du consommateur, on se rend compte que l’e-commerce a principalement utilisé la pédagogie par le prix pour attirer de nouveaux acheteurs en ligne. Il y a fort à parier que les derniers réticents craqueront sous les assauts de Vente Privée, Groupon et autres acteurs promettant des -80%…
Par ailleurs, le journaliste me faisait remarquer que les seniors sont aujourd’hui la population qui connait la plus forte croissance en nombre d’acheteurs (les silver surfers). Un effet de rattrapage naturellement, une évolution profonde aussi, car la simplicité étant aujourd’hui un des axes de travail des fabricants de terminaux (Apple en tête de fil), des éditeurs de logiciel et des e-commerçants, les seniors se risquent aujourd’hui grâce aux tablettes et à des sites plus simples et plus rassurants à faire des achats en ligne. Ils sont aujourd’hui amenés à se tourner vers les outils informatiques pour garder le contact avec les enfants et les petits enfants dans des modèles familiaux explosés sur le territoire. L’email et les visioconférences sont des outils qui amènent cette population à s’équiper et à parfois à découvrir les nouveaux outils de communication.
L’e-commerce a un gros potentiel auprès des populations de plus de 65 ans surtout si l’on considère le problème de la dépendance et des petites retraites (pouvoir d’achat très limité). Rêvons que demain, les aides aux personnes dépendantes soient utilisables pour payer les frais de livraison des courses en ligne et nous aurons peut-être une nouveau regard sur les possibilités du canal Internet.
Baisse du panier moyen mais augmentation de la fréquence d’achat
Le volume de transactions sur la période a progressé de 30% et on dénombre 5 achats par cyberacheteur. La fréquence d’achat a ainsi progressé, mais dans le même temps, le panier moyen continue de baisser (-4% pour s’établir à 89€). La crise est naturellement une explication, la recherche des petits prix est une des clefs du comportement du consommateur. De nombreux e-commerçants sont tentés de rentrer des produits moins chers dans leur catalogue ou de baisser leur prix en espérant que cela se traduise par une meilleure conversion des prospects. Si on rajoute les offres d’abonnements aux frais de ports (type AmazonPremium) et la croissance des mécaniques de ventes privées ou évènementielles, il parait difficile de maintenir le panier moyen. Heureusement, le cyberacheteur est plus actif et donc au global le secteur s’en sort bien. Au niveau d’un e-commerçant la problématique est moins simple, puisque sur un trimestre il est peu probable de faire du repeat business, sauf sur des produits de grande consommation.
Croissance du nombre d’e-commerçants
L’autre chiffre communiqué par la FEVAD qui mérite un commentaire est le nombre d’e-commerçants qui s’établit à 104 000 (+22%). Ce chiffre me questionne car dans le même temps la FEVAD indique que seuls 6% des e-commerçants réalisent plus de 1 000 commandes par mois (soit 30 commandes par jour). Ils ne sont que 27% à réaliser plus de 100 commandes par mois (soit 3 commandes par jour…).
Vous comprendrez donc que ce chiffre cache de grandes disparités. De nombreuses personnes sans qualification, sans aucune expérience de commerçant, se lancent chaque jour dans la bataille avec l’envie de s’enrichir, or les acteurs du top100 sont toujours plus structurés, avec beaucoup de moyens et d’ambitions. Autant dire que la FEVAD se garde de communiquer le nombre de fermetures quotidiennes de sites.
Plus globalement, je constate qu’on met ce chiffre en regard du taux d’entreprise ayant un site e-commerce. Je suis surpris que certains plaident pour que chaque entreprise possède un site e-commerce. Au-delà des moyens à investir, pour de nombreuses entreprises, un site e-commerce n’est pas la meilleure manière d’être présente sur le web. Un bon site plaquette, avec la présentation des services ou produits et des outils de contact (formulaire, téléphone, storelocator, call back, chat…) est une approche bien plus adaptée pour la plupart des entreprises.
Je pense donc que ce chiffre impressionnant sera amené un jour à diminuer ou au moins à se stabiliser, lorsque le marché aura atteint la maturité, que les consolidations seront en cours et que le phénomène eldorado aura disparu.
L’enjeux 2012 : en finir avec les pertes et construire sa rentabilité
En tant qu’observateur du secteur, 2012 sera forcément une année charnière pour beaucoup d’e-commerçants et d’acteurs brick&mortar. Si on se concentre sur les 6% d’e-commerçants envoyant plus de 1 000 commandes par mois, de gros efforts de professionnalisation et de rationalisation seront nécessaires. Investir dans une logistique optimisée, construire un catalogue produit pertinent, valoriser sa base client et générer du repeat business seront autant de défis à relever dès cette année en préparation d’une année 2013 qui s’annonce très difficile. La crise de la zone euro n’a pas encore dit son dernier mot et il faudra être frugal comme le dit si bien Michel. Maîtriser l’ensemble de ses coûts et notamment les coûts d’acquisition seront clefs pour pouvoir notamment trouver des solutions pour offrir facialement les frais de transport, une des attentes fortes dans un marché où les acteurs du fashion font l’éducation du consommateur dans ce sens.
Concernant les plus gros acteurs, les 1% à plus de 10 000 commandes par mois, ils ont étudié Amazon et réfléchissent donc au lancement de places de marché dans l’espoir de mieux valoriser leur audience avec un business model à la commission sur les ventes, un modèle qui leur permet notamment de booster leur rentabilité. Dans le même esprit, les plus structurés réfléchissent à des offres de services pour les marques ou les autres e-commerçants (délégation e-commerce partielle ou totale). Amazon est peu rentable sur l’e-commerce, ce sont la place de marché, l’hébergement en cloud et les autres services qui font le gros de la rentabilité de cet acteur. D’autres pure players de taille importante se posent toujours plus sérieusement la question des réseaux physiques, les coûts fixes peuvent finalement apparaître dérisoires quand on voit l’explosion des coûts d’acquisition online et les difficultés à fidéliser.
Concernant les acteurs de la distribution (brick&mortar => click&mortar), beaucoup se posent encore la question du modèle économique. Selon les secteurs, ils ont du mal à rentabiliser leur flagship online uniquement avec les ventes online. La mesure des phénomènes crosscanal, leur analyse et leur stimulation seront des préalables pour développer des services crosscanal qui permettront d’intégrer le dispositif online et de l’articuler avec l’ensemble des canaux de l’enseigne. Naturellement, même si le challenge n’est pas évident, les aspects techniques sont finalement assez secondaires, les enjeux sont ici très organisationnels et politiques.
Enfin, en 2012, la pénurie RH sur le secteur digital continuera à être un des sujets à anticiper pour éviter de voir sa croissance freinée.
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