Le nombre de visiteurs uniques : une mesure qui fausse l’industrie du Web
Vous faites combien de VU (visiteur unique) chaque mois ?
Manque de maturité, incompréhension des enjeux… C’est trop souvent la première et seule question que se pose un acteur de l’industrie du web lorsqu’il s’intéresse à la performance d’un site Internet. Malheureusement, cette hyper simplification amène l’ignorant à se leurrer sur les vrais enjeux. Vous me direz tout le monde tombe dans le travers, même des spécialistes sectoriels comme la FEVAD qui publie régulièrement un classement par audience des sites d’e-commerce.
Une bonne illustration du décalage qui peut exister en e-Commerce entre les VU qui ne sont qu’un moyen et le CA ou la rentabilité qui sont une fin est la réaction des e-commerçants lors du rachat de PriceMinister, champion de l’e-Commerce français en termes d’audience, par Rakuten : une déception non dissimulée car le CA n’était pas celui d’un champion.
Une mesure en apparence simple
Tout d’abord, la mesure des visiteurs uniques n’est pas simple. Les solutions de webanalyse utiliseront des cookies pour réaliser un compte dédoublonné alors que les instituts d’étude utiliseront leurs modèles statistiques pour extrapoler les comportements de leurs panels. Première distorsion de taille : si je me connecte sur deux ordinateurs différents ou deux navigateurs différents, je passerai à travers les mailles des cookies et je serai compté deux fois par l’outil de webanalyse. Et si je supprime régulièrement mes cookies, il en ira de même…
La mesure panel n’est pas plus fiable. Il y a régulièrement des débats autour des acteurs qui organisent des jeux concours en ligne avec des bases mail qui parviennent à sur-représenter les membres issus des panels, d’où des modèles statistiques faussés : “si vous travaillez avec moi, vous allez rapidement vous retrouvez dans le top10 des sites français… Je vous mets combien de VU ?”. Et comment recruter un panel qui représente la diversité des comportements des Internautes : contrairement à la télévision, l’Internet compte bien plus que 5 ou 20 chaines (en incluant la TNT). Rien que l’e-Commerce français représente plus de 50 000 sites. Certes on peut se concentrer uniquement sur les plus visités (+ de 100 000VU / mois) mais comment expliquer qu’il y a 2 ans l’augmentation de la taille du panel d’Internautes ait pu modifier les audiences avec des facteurs allant jusqu’à 5.
Donc s’il est facile d’annoncer un chiffre de VU, sachez que c’est aussi un chiffre très manipulé, avec des responsables de site qui choisiront alternativement la mesure site centric ou panel en fonction de la méthode qui le favorise plus. Mais plus globalement, est-ce la bonne mesure ?
Une mesure tout sauf marketing…
Combien de business plan où j’ai vu plus de VU dans les fichiers Excel qu’il n’y a de prospects dans la cible visée ? Je souhaite toucher la cible des professeurs en université et je vise une audience de 3 millions de VU…
Très souvent le VU représente une unité, mais nullement un individu, un prospect ou un client dans l’esprit de mes interlocuteurs. Jamais de questionnement sur les raisons des visites, sur l’explication qui ferait q’un visiteur revienne chaque mois… Le VU est l’ennemi du customer centrisme. Les audiences sont constituées de lecteurs, de consommateurs, de vous, de moi. Avant de multiplier les visiteurs comme certains multipliaient les pains, il faut donc toujours avoir une démarche marketing. Mon message vise une cible constituée de X milliers d’individus ayant des attentes, des projets, des profils… différents. Avant d’additionner un visiteur avec un autre visiteur, il faudrait s’assurer que mon visiteur soit dans ma cible. C’est ainsi qu’un indicateur bien plus pertinent me vient à l’esprit : le taux de pénétration ou aussi appelé le taux de couverture de la cible.
Cet indicateur est en fait le ratio entre le nombre de personnes que je touche au sein de ma cible et le nombre de personnes qui constituent ma cible. Si l’on vous déclare qu’un site vous permet de toucher 50% de votre cible, je vous invite à réfléchir à un investissement. Si on se contente de vous annoncer 3 millions de VU, je vous invite à continuer votre chemin.
Concernant la revisite, là encore, je vois des responsables de site s’imaginer que tous les mois le consommateur aura un nouveau besoin. Aucune notion de cycle d’achat ou de renouvellement du produit / besoin. Dans le monde offline, les gens ne prennent pas tous les mois un de vos catalogues en main ou ne vont pas dans vos magasins.
Economie de l’attention
En 2010, nous sommes 35,3 millions d’internautes (VU ?) en France selon Médiamétrie et nous passons en ligne en moyenne 13 heures par semaine. Il y a donc un potentiel d’attention fini. Lors que je vais sur Internet, tous les sites sont en concurrence pour s’accaparer mon attention… Loi de l’offre et de la demande, rien d’alarmant si vous voyez le coût d’acquisition d’un visiteur ou d’un client en ligne exploser à l’avenir.
L’Internet est donc, à l’image de nos rues, un lieu où, à chaque seconde, l’attention de l’internaute est sollicitée pour l’exposer à des messages ou pour qu’il entreprenne certaines actions. Dès lors, il parait logique de ne pas en rester à la mesure du nombre de visiteurs uniques, un indicateur purement quantitatif qui comptabilise un visiteur qui passe 2 secondes ou 2 heures sur un site au même titre. Parmi les indicateurs légitimes, il semble intéressant de s’inspirer des indicateurs issus de la publicité :
- Taux de pénétration de la cible : approche plus qualitative et en phase avec la démarche marketing
- Evaluation sur les éléments cognitifs : Mémorisation, Notoriété spontanée ou assistée
- Evaluation sur les éléments affectifs : Sympathie, Points d’image
- Evaluation sur les éléments pré comportementaux : Intention d’achat, Intention de ré achat
- Evaluation sur des éléments comportementaux : Taux de visite, Taux de conversion, Ré achat
La plupart des indicateurs précédents issus d’une réflexion marketing ont été remplacés par Internet, le média de la mesure, par des indicateurs de moyen et/ou des indicateurs techniques (Exemples sur l’emailing : taux de délivrabilité, taux d’ouverture, taux de clic, taux de rebond…). Naturellement des indicateurs du type notoriété ne se mesurent pas par interaction et nécessitent des panels. Mais ils n’en restent pas moins des indicateurs certainement plus efficaces pour mesurer la performance d’une campagne de bannières qu’un taux de clic !
Le nombre de VU : classe ou pas classe ?
En synthèse, le nombre de VU / mois est un indicateur très mal utilisé, summum de la simplication à outrance et de l’auto congratulation (tout le monde veut avoir la plus grosse audience alors que la cible est parfois très réduite). Ajoutez à cela le bidouillage des chiffres panel ou site centric (lire l’analyse de Tubbydev sur l’impact des sites under sur l’audience et la valorisation de certains sites) et vous comprendrez que nous avons là un indicateur qui ne mériterait même pas que je lui accorde un article. C’est un indicateur de moyen, en aucun cas un indicateur business.