Les initiatives low-techs, ou comment reconsidérer le cycle de vie du digital
En 2022, c’est le 28 juillet qu’a eu lieu le jour du dépassement : à compter de cette date, nous consommons plus de ressources que la Terre ne peut en régénérer en 1 an. Et chaque année, ce point de bascule arrive plus tôt. En 1970, il s’agissait du 19 décembre, et en 2000, du 23 septembre. Parallèlement, le numérique, consommateur d’énergie et de ressources , est de plus en plus présent dans nos quotidiens. Actuellement, ce secteur représente 3,7% des émissions de GES, soit davantage que le secteur de l’aviation civile. Mais avec une croissance en moyenne de 9% de ses émissions par an, la part des émissions du numérique pourrait doubler d’ici 2025. Agir pour raisonner l’empreinte environnementale du numérique a donc du sens. Et c’est précisément le cœur de la démarche low-tech.
Une low-tech ne caractérise pas un objet, mais qualifie une démarche commune, entre le concepteur de l’objet, et son utilisateur final, qui vise à choisir une consommation raisonnée, responsable, durable. Mettre au point un objet low-tech, suppose de penser l’ensemble de son cycle de vie. L’objet est conçu pour répondre à un besoin réel. Il est pensé comme simple dans sa conception, et accessible : cela illustre l’aspect social et éthique de la low-tech. Sa production minimise autant que possible l’utilisation de ressources rares, dans un souci de durabilité environnementale. Parler de low-tech revient donc à envisager un système, ou plutôt une démarche, voire même une philosophie, tant ce terme a une portée idéologique. Cela sous entend de questionner ses besoins pour les rationaliser, répondre à l’essentiel, dans l’optique de préserver et partager les ressources, pour un bien-être commun. Une approche simple pour estimer la pertinence d’un nouveau produit ou service, consiste à raisonner avec les 3U : mon innovation est-elle vraiment utile, utilisable, utilisée ? Car de fait, certains développements, comme les applications, ne trouvent pas toujours d’usage.
La démarche low-tech s’applique à de nombreux domaines : l’agriculture, l’énergie, la mobilité, le bâtiment, mais aussi le digital. De prime abord, le sujet peut paraître incompatible avec le secteur du numérique qui par essence est celui de la technologie. L’utilisation du numérique est également très ancrée dans nos quotidiens : pour accéder à l’information, communiquer, travailler, utiliser des services, et même pour la production industrielle. Tout l’enjeu consiste à dépasser cette apparente incompatibilité. Et de fait, plusieurs pistes existent pour prendre en compte les principes de la low-tech dans le domaine du digital.
A noter : Le but de cet article est de proposer des initiatives inspirantes qui prennent en compte les notions de durabilité, pérennité et sobriété, dans l’esprit de la low-tech, sans forcément répondre complètement à toutes les caractéristiques de la démarche, à la fois sociale, éthique, durable, locale.
S’interroger sur notre consommation du digital au quotidien
La première piste, se situe côté utilisateur final, et consiste à réduire son usage digital quotidien, en préférant, dans la mesure du possible, des alternatives non technologiques. Mais cela peut sembler complexe, voire trop théorique, dans la mesure où nos systèmes modernes sont dépendants d’internet, et des écrans, nécessaires pour travailler, accéder à de nombreux services, etc. Dans ces conditions, une approche comme celle des 5R est un premier pas pour reconsidérer notre consommation numérique. Les 5R : refuser, réduire, réutiliser, réparer et recycler invitent à sélectionner, faire des choix.
Développer des produits simples et réparables
Une deuxième piste, côté fabricants cette fois, consiste à minimiser l’impact environnemental de la production des terminaux, qui représente 70% de l’empreinte carbone du numérique en France. Cela peut passer par la conception d’objets modulables, avec des pièces de rechanges disponibles, pour une réparation possible et abordable par les particuliers. Cette évolution peut se faire au détriment de l’esthétique ou de la performance de l’objet. Mais accepter de simplifier ses besoins, fait partie intégrante de l’esprit low-tech.
La marque Fairphone propose par exemple des smartphones aux composantes simples, pour être réparables, avec une garantie allant jusqu’à 5 ans. Punkt une marque suisse d’objets électroniques du quotidien. va encore plus loin dans la simplification des objets.
Proposer des solutions de location ou de partage
La location de biens est une autre piste permettant de maximiser l’utilisation d’un produit, de même que la mutualisation. Le partage de plans, logiciels, ou autre bien en open source illustre cette pratique.
Le système d’exploitation Linux, dont le code source est ouvert, est un bon exemple de contenu mutualisé. Simple, et nécessitant peu de puissance pour fonctionner, il permet notamment de reconditionner des ordinateurs en fin de vie.
Anticiper et préparer la fin de vie des produits
La gestion de la fin de vie des appareils peut aussi être soutenue par une logique low-tech, en cherchant en 1er lieu à réparer un appareil défectueux. Actuellement, 14% des Français seulement tentent une réparation de leur smartphone lors d’une panne.
Des initiatives comme l’atelier Réparseb permettent justement la collecte et réparation ou rénovation de petits appareils électroménagers. Les repair cafés : espaces collaboratifs et solidaires, de réparation d’objets, sont un autre exemple de service de réparation.
A noter : depuis le 1er janvier 2021, un indice de réparabilité existe, initié par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC). Il est actuellement obligatoire pour cinq produits (lave linge à hublot, smartphone, ordinateur portable, téléviseur, tondeuse à gazon électrique), mais devrait à terme s’étendre.
Puis, une fois nos appareils définitivement hors d’usage, leur fin de vie s’organise. Le recyclage permet de récupérer pour réemployer des matériaux de nos appareils. Seuls 5% des smartphones sont recyclés en France, et plus de 100 millions d’appareils seraient oubliés dans nos tiroirs. Des mécanismes de collecte sont donc à multiplier et promouvoir.
Philips, en partenariat avec TerraCycle encadre par exemple le recyclage de produits dentaires. Les ressourceries et recycleries sont d’autres initiatives citoyennes pour revaloriser d’anciens objets et lancer leur 2ème vie.
Et de fait, se tourner vers des produits de 2nde main, ou reconditionnés, est aussi une alternative durable. Par exemple, pour un smartphone, choisir un modèle reconditionné réduit de 2 à 4 fois son impact environnemental par rapport à l’achat d’un modèle neuf.
La success story de Back Market, valorisée à 5,2 milliards d’euros est un bel exemple d’une initiative durable et économiquement possible. Un autre exemple est celui d’Emmaüs Connect, qui récupère et reconditionne du matériel numérique pour le mettre à disposition des plus démunis à prix réduit.
Créer des produits digitaux plus simples
La dernière piste pour imprégner le secteur du numérique par la pensée low-tech, consiste à diminuer notre impact sur le réseau. Le poids moyen d’une page a quadruplé en 8 ans : des mécanismes d’éco-conception peuvent réduire cet impact. Cela peut passer par un choix éclairé de CMS, pour un système de gestion de contenu adapté aux enjeux du site. Raisonner les quantités et tailles de photos, vidéos, extensions, plugins peut aussi contribuer à simplifier un site, et alléger son impact environnemental. Selon les besoins et l’objectif d’un site ou d’une application, d’autres solutions adaptées peuvent être envisagées.
Ainsi, en alliant durabilité forte, et implication citoyenne, la démarche low-tech fait sens pour accompagner la transition écologique. Divers leviers sont actionnables pour prendre en considération ces sujets, avec un degré d’implication modulable selon les enjeux d’une entreprise. Et des acteurs existent, dans différents secteurs pour soutenir et accompagner ces initiatives.
Sources :
ONG Global Footprint Network
The Shift Projet, 2018
ATAG
Loi visant réduire l’empreinte environnementale du numérique en France, novembre 2021
ADEME, « Le smartphone, une relation compliquée »
ADEME, « Etat des lieux et perspectives des low tech »
De Decker, « Comment créer un site web basse technologie », 2018
Content Management Software
Institut du Numérique Responsable