L’impact du web dans le monde des annuaires
Le web transforme tous les secteurs de l’économie. Certains assez superficiellement, d’autres très profondément en redéfinissant totalement la chaîne de valeur (ex : voyage, musique, presse…). Parmi tous ces chamboulements, je vous propose mon analyse des évolutions qu’a connues le monde de l’annuaire autrefois papier, aujourd’hui numérique/papier et demain ?
Le monde des annuaires
D’un point de vue chaîne de valeur, un annuaire est un agrégateur d’offres. L’annuaire le plus connu du grand public en France est PagesJaunes. Il existe également des annuaires verticaux. Le guide Réunir est, par exemple, un annuaire spécialisé dans les lieux de séminaire (disclaimer : il s’agit d’un client Converteo).
Les annuaires sont ancrés dans une problématique de marché biface (annonceur/prospect). Un annuaire qui est utilisé par de nombreux prospects sera intéressant pour les annonceurs. Mais c’est la richesse de l’offre qui attirera les prospects. Plus il y aura d’annonceurs et donc d’offres indexées, plus il y aura d’utilisateurs de l’annuaire et donc de prospects. Plus fondamentalement, la proposition de valeur pour les annonceurs est de récupérer des leads de qualité et pour les prospects de trouver un prestataire ou une offre permettant de répondre à leurs besoins.
Un des objectifs des annuaires pour attirer les annonceurs (et donc générer des revenus) et donc de viser une diffusion et un usage important auprès de leur cible. Les PagesJaunes mesurent ainsi chaque année le taux de pénétration et d’usage de ses dispositifs (annnuaire, site web, site mobile, application…) au sein de la population française car ce sont bien les Français dans leur ensemble qui sont la cible de PagesJaunes. Réunir s’intéresse, pour sa part, à la cible des organisateurs de séminaire, une cible peu évidente à identifier et travailler car elle ne représente pas une fonction de l’entreprise mais plutôt une mission confiée au DG comme au responsable RH ou à l’assistante.
Annuaire et marketing
Pour être connu, diffusé et utilisé par le plus grand nombre d’individus composant sa cible, un annuaire investit énormément en marketing. PagesJaunes va ainsi être présent sur les panneaux d’affichage d’un match de l’équipe de France de football ou dans des publicités télé à des heures de grande écoute. Comment un annuaire peut-il se permettre des investissements aussi coûteux ? Tout simplement en expliquant à ses annonceurs qu’en joignant leurs efforts, ils seront plus forts (“principe de la chasse en meute”). Les commerciaux des annuaires incitent donc les annonceurs à leur confier tout ou partie de leurs budgets de communication plutôt que disperser ses moyens sur d’autres supports.
L’annuaire agrège ainsi les budgets de communication pour les réinvestir à son tour dans son propre plan de communication, sa visibilité bénéficiant ensuite à l’ensemble des annonceurs. Le petit coordonnier de quartier va ainsi confier quelques centaines d’euros à PagesJaunes qui viendront s’ajouter aux quelques millions apportés par les milliers d’artisans et aux autres acteurs qui souhaitent figurer dans les dispositifs PagesJaunes. PagesJaunes est un média original car le panier moyen des annonceurs est de l’ordre du millier d’euros, là où la plupart des médias ne considèrent un annonceur qu’à partir du moment où il est capable de débloquer des dizaines voire des centaines de milliers d’euros.
Le business model des annuaires
Deux visions se confrontent régulièrement quand il s’agit de déterminer un business model : il est possible d’avoir une approche coût (combien cela coûte techniquement d’être inséré dans un annuaire ?) ou une approche valeur (combien cela me rapporte d’être présent dans un annuaire ?).
Du temps du tout papier, les annuaires ont choisi une approche coût justifiée a posteriori par un argumentaire valeur. Le fait d’être inséré coûte un certain prix (saisie, traitement, impression et diffusion des annuaires papier auprès de la cible). Sur base d’études a posteriori, l’annuaire peut ensuite démontrer que l’insertion amène une certaine volumétrie d’affaires. Le fait d’acheter plus d’espace coûtera plus cher (pro rata entre les coûts et la surface occupée qui est dans le monde papier physiquement limité même si les annuaires comptent souvent des centaines voire milliers de pages). Mais le fait d’avoir une surface plus importante permet d’avoir une meilleure visibilité dans l’annuaire et de générer plus de business. Ainsi le raisonnement coût et valeur se sont très bien articulés jusqu’à l’arrivée du web.
Le web a amené la rupture du dématérialisé dans le monde des annuaires. Un site web peut compter autant d’annonceurs qu’il le souhaite. Le coût technique d’un nouvel annonceur est dit marginal notamment lorsque c’est l’annonceur lui-même qui saisit les informations de sa fiche et non pas une opératrice de saisie . C’est ainsi que sont apparus des annuaires pure player qui ont choisi simplement de proposer l’insertion gratuite et de réfléchir à des produits premium pour booster la visibilité des annonceurs prêts à payer : il s’agit là d’un modèle freemium. La structure de coûts de ses acteurs est naturellement légère car au final ils ne relisent pas forcément les contenus (modération) et se passent d’une force commerciale terrain : la masse salariale est fortement réduite. De plus, ils misent l’essentiel de leur travail sur du SEO afin de générer un trafic de qualité à moindre coût. Ces acteurs sont également agiles car ils pensent leur site web comme une plateforme ce qui leur permet notamment de se lancer à l’international en la dupliquant.
Le prix facturé par les pure players et les acteurs historiques n’avaient pas grand chose à voir, notamment car les acteurs historiques, forts de leur force commerciale de terrain, ont continué à vendre des dispositifs de communication plus ambitieux et surtout où l’annonceur était accompagné. Autre point important, les annuaires comme PagesJaunes et Réunir ont également dû s’adapter mais surtout évangéliser et faire monter les annonceurs en maturité. Le raisonnement valeur s’appelle également à l’heure du web le ROI. Investir des sommes conséquentes avec un ROI élevé n’est pas un souci, alors qu’investir des sommes réduites sans visibilité ROI ne présente pas de réels risques mais n’a aucun intérêt.
Une concurrence ré inventée
Vous l’aurez compris, le web a eu un impact sur le business model mais au final très marginal car les annuaires avaient anticipé depuis longtemps la logique ROI en tant que générateurs de leads. Tous n’ont pas été capables de faire les choses aussi efficacement que PagesJaunes ou Réunir, mais la vraie révolution se situe ailleurs…
Les annuaires en arrivant sur le web ont eu affaire à un nouvel acteur très puissant : Google.
Les annuaires perçoivent Google comme un concurrent en termes d’usage (l’utilisateur cherche dans un moteur plutôt que dans un annuaire). Mais la qualité de la structuration des données d’un annuaire lui permet d’être supérieur en termes d’expérience à un moteur de recherche généraliste, notamment en mettant à disposition des filtres à facettes pertinents. Par ailleurs, la promesse d’exhaustivité liée aux annuaires et les investissements conséquents réalisés pour développer leur notoriété leur garantissent encore aujourd’hui un coup d’avance. Mais pour combien de temps ? Google surfe sur l’avènement du web sémantique, il lance régulièrement des services verticaux et a déjà fait des mouvements vers la création d’annuaires (Google Adresses). La menace est au mieux moyen terme sinon court terme.
Mais le vrai sujet est encore ailleurs…
Là où Google cause vraiment du tort aux annuaires est au niveau de leur relation avec les annonceurs. Google perturbe la chaîne de valeur et a notamment rompu l’équilibre économique évoqué plus haut : je confie tout ou partie de mon budget à l’annuaire pour qu’il développe la visibilité de l’ensemble de l’annuaire et mécaniquement celle de mon entreprise. Aujourd’hui, un château spécialisé dans les séminaires qui annonce dans Réunir va également avoir un site web et va annoncer sur Adwords sur les mots “salle de séminaire” (ou va payer un spécialiste SEO pour arriver en tête en référencement naturel)… Mais Réunir se bat sur la même expression. Résultat, l’annonceur fait de la concurrence à l’annuaire et détruit de la valeur en créant une concurrence dont seul Adwords et les spécialistes du SEO sortent gagnant. La concurrence amène en effet une augmentation mécanique du CPC et du coût des prestations SEO alors que le château et Réunir sont sur le même bateau. Il s’agit certainement d’un manque de confiance mais surtout d’un manque de concertation. Ils auraient tout intérêt à en discuter, à prendre de la hauteur, mais la logique ROIste court terme du web biaise la perception de chacun.
J’aborderai dans un prochain article une vision plus large de ce phénomène : l’économie de l’attention ou comment ré inventer la concurrence au-delà des approches classiques et des frontières industrielles.
Synthèse
Le monde des annuaires est en train de se tourner fortement vers le numérique. La révolution est plus lente que sur d’autres secteurs certainement à cause de sa nature B2B : le payeur est une entreprise, or les entreprises se mettent au web bien moins vite que les particuliers. Du coup, même si la révolution est profonde, son rythme n’a rien à voir avec celui des secteurs B2C (voyage, musique, presse…).
Mais au-delà de l’enjeu industriel et technique (remise à plat du système d’information pour passer du papier au web), la réflexion marketing reste centrale :
– Comment continuer à créer de la valeur pour les annonceurs et les utilisateurs de l’annuaire ?
– Comment tarifer mon service maintenant qu’il n’est plus directement lié à un support matériel (un annuaire papier) ?
– Comment se positionner dans la chaîne de valeur web avec un Google omniprésent ?
L’innovation, la qualité du service et la compréhension du client (annonceur/utilisateur) ont été trois réponses apportées par PagesJaunes et Réunir. Elles ont été suffisantes pour se protéger des pure players, mais seront-elles suffisantes à l’heure où Google vise à éliminer les intermédiaires qui le sépare des consommateurs et des annonceurs ?
Réponse dans les cinq prochaines années.