Product Management Data & IA : quelles missions, quels profils, quelles particularités ?

Article IA Product management 19.01.2024
Par Converteo

Les “product managers” spécifiquement dédiés aux sujets data et IA commencent à se faire une place dans les organisations. Mais quelles sont les particularités de ces postes ? En quoi se distinguent-ils des product managers classiques ? David Spire, Partner de la practice Product Converteo et Hervé Guignot, qui pilote le développement des Produits Data et IA chez Decathlon, ont échangé sur le sujet.

 

Les postes liés au Product Management Data – et a fortiori IA – sont encore très récents dans les organisations…

David Spire : Effectivement, la fonction de PM Data et/ou IA se retrouve surtout dans les entreprises tech, déjà très matures sur les enjeux data et les développements autour de l’IA. Dans les entreprises françaises, le Product Management appliqué à la data et à l’IA est encore quelque chose de nouveau. En la matière, certaines entreprises comme Décathlon font figure de pionnières, mais leur exemple devrait rapidement être suivi par beaucoup d’autres.

 

Hervé Guignot : Oui, chez Decathlon, nous avons la chance d’avoir une très forte culture produit, qui tient à deux paramètres. D’abord, l’entreprise en elle-même n’est pas qu’un distributeur : nous concevons nos propres produits, avec des marques comme Quechua, Kalenji ou Nabaiji. 80% des produits vendus sont conçus en interne. Ensuite, au cours des dernières années nous avons complètement transformé notre approche pour apporter la valeur du digital, en construisant des équipes Produits, Tech et désormais Design, travaillant ensemble par domaine. Les équipes Data viennent naturellement compléter ce dispositif, le Data Product Manager construisant les composants data d’expériences utilisateurs plus vastes.

 

Quelles sont les compétences essentielles dans cette fonction ?

Hervé Guignot : Je pense qu’il faut réunir trois types de compétences : évidemment, cela commence par une connaissance fine et approfondie de la data et de l’IA, savoir ce qu’on peut faire avec. Le mieux  est d’avoir “mis les mains dans le cambouis”, donc avoir été data scientist ou data analyst soi-même. La  dimension “produit” est essentielle également : avoir un “mindset” centré sur l’utilisateur, comprendre la démarche (discovery, roadmapping, …), les outils. Enfin, une certaine hauteur de vue “business” me semble indispensable. Cela peut passer par une expertise spécifique – en pricing, en logistique, etc. – ou bien par l’exposition à de nombreux cas d’usage et stratégies d’entreprise.. Dans les faits, ces trois composantes – la data, le produit, le business – sont assez rarement réunies à égale proportion dans une seule personne. C’est plutôt comme en montagne, il y a souvent plusieurs chemins pour arriver au sommet !

Si je retrace mon parcours, j’ai démarré dans le logiciel avant d’aller dans le Conseil en Stratégie.. Et ensuite de la Data, à partir de 2012 et de la Data Science depuis 2015. Je n’ai développé ma compréhension de l’approche Produit que depuis quelques années. 

Mais je me sers de tout cela quasiment tous les jours pour par exemple échanger avec des équipes marketing, pricing, finance sur leurs sujets et points de douleur, pour comprendre le potentiel de tel algorithme ou élaborer une roadmap de transformation …

 

David Spire : Je pense que les profils qui sont capables aujourd’hui de prendre un rôle de PM ou de PO sur des produits Data sont obligatoirement des personnes ayant un important track de compétences dans le domaine. De la même manière qu’on apprécie le fait qu’un Product Manager Web comprenne les implications techniques des différents framework de développement (par exemple React) – il est indispensable pour un manager produit travaillant sur la data de comprendre comment fonctionne un datalake, etc. Pour un IA Product Manager, c’est d’autant plus critique que la qualité de la donnée à disposition doit être parfaitement maîtrisée pour pouvoir imaginer les expériences qu’il est possible de délivrer. Au-delà, être un excellent manager Produit est crucial : il faut avoir un maximum de séniorité, car il s’agit là de produits complexes, qui nécessitent une intensité particulière de travail avec des parties prenantes qui ne maîtrisent pas forcément toujours les solutions disponibles.

 

Y-a-t-il un profil type sur ce type de poste ?

Hervé Guignot : Pas vraiment ! Souvent, ce sont des profils très “tech” qui ont souhaité remonter vers des rôles de pilotage de produits, mais d’autres product managers data viennent plutôt des métiers, avec l’habitude d’échanger avec des interlocuteurs “business”. En fait, tout dépend de ce que l’organisation attend de son Data Product Manager : certains sont très axés sur le “delivery”, d’autres davantage focalisés sur la “discovery” ou encore la définition de la stratégie. 

 

David Spire : Soit vous êtes, comme le dit Hervé, une personne qui a travaillé au cours de ses premières années de vie professionnelle dans la data, soit vous avez au contraire été très présent sur les sujets data du côté des métiers, et vous avez donc une très bonne connaissance des problématiques que la data ou l’IA peuvent résoudre. Dans tous les cas, je pense qu’il faut une appétence très forte pour ces deux domaines, tout en étant proactif, pour rester constamment à jour, car les choses évoluent très vite.

 

Quand on parle de “Product” appliqué à la Data, est-ce qu’on retrouve toutes les dimensions classiques du Product Management ? Y a-t-il des particularités ?

Hervé Guignot : Dans les principes, on retrouve les mêmes modes de fonctionnement, en commençant par la phase de “discovery” qui permet d’identifier la proposition de valeur à délivrer ensuite. Il s’agit là de l’intérêt principal de la démarche produit : imaginer la proposition de valeur avec les utilisateurs, en étant attentif à ce qui leur apporte de la valeur, en itérant et en faisant du prototypage. C’est vraiment le point clé, qui n’était pas forcément présent dans les sujets data par le passé.

Mais une des spécificités, c’est qu’en data product management, on travaille une matière première. Sur un site web, par exemple, la seule matière première, c’est la demande utilisateur, qui peut être travaillée et modélisée. Dans la data, en plus du besoin utilisateur, on travaille avec une matière première qui nous restreint souvent et nous impose des étapes supplémentaires : il faut notamment que la donnée soit disponible, de bonne qualité et utile pour les cas d’usage. 

Dans la data et l’IA, certains règles d’UX sont aussi bien particulières – avec par exemple des enjeux d’explicabilité, d’incertitude ou de ‘feedback loops” qui existent beaucoup moins  dans les produits digitaux – ce qui implique de former et mobiliser des profils experts de ces sujets.

 

David Spire : Il ne faut pas oublier que quel que soit le produit, il s’agit de délivrer des expériences. Donc même si travailler un produit data ou développer des solutions avec de l’IA reste spécifique, cela n’empêche pas qu’in fine, tout doit conduire à délivrer une expérience impactante qui vient résoudre une problématique claire, identifiée et mesurable. En ce sens, j’ai vraiment la conviction que toute la dynamique classique du Product Management s’y retrouve. Il est toutefois nécessaire, notamment sur l’IA, de trouver des leviers pour gérer un niveau d’incertitude beaucoup plus fort : les réponses d’une IA générative sont presque toujours différentes. Dès lors, limiter ce risque devient une particularité assez forte.

 

La data et l’IA répondent-elles aux mêmes enjeux ou représentent-elles deux sujets distincts ?

Hervé Guignot : Oui, plutôt, même si ce n’est pas toujours évident. C’est déjà une question de définition. La data regroupe plutôt les analytics et la business intelligence, tandis que l’IA, c’est la data science ou le machine learning. Mais quand on crée un modèle d’IA, même s’il n’y a pas vraiment d’interface utilisateur, on doit l’intégrer dans d’autres outils, comme un dashboard pour l’utiliser et le visualiser. Et là on revient à un sujet de BI. L’inverse est aussi vrai : si on conçoit un outil d’analytics pour donner des chiffres et des insights aux utilisateurs, on va naturellement chercher à y intégrer un indicateur prédictif, donc de l’IA… Les deux ont ainsi tendance à se mélanger un peu, même s’il y a des différences en termes de méthodologie ou d’UX. D’ailleurs, ce ne sont pas les mêmes profils qui travaillent sur les sujets d’IA, d’analytics et de BI.

 

David Spire : D’expérience, les produits data sont dans la plupart des cas des produits à visée interne, qui vont servir les directions opérationnelles d’une entreprise, même s’il y a aussi des produits data au service d’expériences “front” (par exemple sur des enjeux de personnalisation). En revanche, en matière d’IA, nous parlons plutôt d’un apport qui vise à augmenter l’expérience d’un front, à tous les niveaux – peu importe qu’il s’agisse d’un site e-commerce ou d’un CRM. C’est global. En ce sens, data et IA sont deux domaines d’application bien distincts, mais qui se nourrissent l’un et l’autre, puisque l’IA ne peut pas fonctionner sans data.

 

Comment voyez-vous évoluer cette fonction dans les années à venir ?

Hervé Guignot : Nous allons tous continuer à monter en maturité sur la data et l’IA pendant encore plusieurs années. Les technologies évoluent sans cesse, les moyens de les combiner aussi, les usages également. Je pense donc que le rôle de Data Product Manager est là pour durer, car il  est nécessaire d’avoir des profils vraiment experts de la data pour pouvoir concevoir et déployer ces nouvelles propositions de valeur. A terme toutefois, je pense que nous irons vers une intégration beaucoup plus forte avec les équipes Produits et Tech plus classique. Nous servons le même client après tout, autant le faire ensemble. 

 

David Spire : Les fonctions de Product Manager et Product Owner dédiés aux produits data et IA vont devenir de plus en plus indispensables à tous les niveaux des organisations. C’est déjà le cas sur les profils de PO data, et cela va devenir encore plus fort sur le sujet de l’IA, car l’IA est en train de s’intégrer dans toutes les couches de l’entreprise. Cette révolution va être aussi profonde que celle de l’agilité, qui se diffuse dans les organisations depuis les années 2000. Autrement dit, tous les produits vont voir leur périmètre s’étendre aux expériences dotées d’IA, donc toutes les personnes qui de près ou de loin ont un rôle de manager produit ont intérêt à s’y intéresser, si elles souhaitent toujours avoir de l’impact en 2030 !

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