La frustration : alliée ou ennemie ?
Je discutais hier avec Catherine, une amie,et elle m’a raconté qu’elle venait d’avoir un courrier stupide. Elle me sort le papier et me le montre. Suite à un achat chez un e-marchard spécialisé dans le monde de l’enfance, elle s’était vue offrir gratuitement une tasse anti-fuite à bec. Sa fille sachant à présent boire proprement, le gadget lui était inutile, mais puisque c’était un cadeau, elle n’a pas décoché la case.
Quelques jours plus tard, les produits commandées ont été livrés normalement, mais aucune trace de la tasse. Comme c’était un cadeau dont elle avait peu l’utilité, Catherine n’a pas constaté l’oubli. 3 jours plus tard, elle a reçu un courrier et c’est ce courrier qu’elle voulait me faire lire.
On peut y lire que le responsable du site est désolé, mais qu’il ne pourra pas lui faire parvenir la tasse suite à une rupture de stock. En remplacement, il lui offre un bon cadeau de 5 euros. Jusque là vous me direz qu’il n’y a rien de stupide. Sauf que Catherine n’a pas vraiment l’utilité de la tasse et l’e-marchand a tout de même investi dans l’envoi d’un courrier et d’un chèque cadeau.
La frustration pour alliée
Je lui ai alors parlé de l’utilisation de la frustration comme allié. Sans rentrer dans des réflexions de trop haut niveau (le rhume m’empêchant de réfléchir plus de 10 secondes d’affilée 😉 ), je vais vous faire part de l’essentiel à maîtriser quand on veut utiliser la frustration comme allié, voire comme arme.
Tout le monde aura constaté durant sa plus ou moins longue vie qu’un bonheur est toujours découplé par les malheurs que nous aurons rencontrés juste avant. Un statu quo devient parfois un miracle… Sans aller dans des situations dramatiques, le simple fait de retrouver ses clefs est une bénédiction, alors que les avoir tous les jours dans la poche est tout à fait anodin et ne procure aucun bonheur particulier.
De manière générale, ce que l’on appelle ici bonheur et malheur, peut être perçu sous l’angle de la frustration et de la satisfaction. Il est intéressant de noter que toute frustration positionnée avant une satisfaction décuple les effets de la satisfaction. Dès lors, en partant de cette règle, il est possible de scénariser les alternances frustration-satisfaction, pour qu’avec une satisfaction minimale, nous ayons des effets optimaux.
Reprenons la situation du courrier de Catherine. 2 situations se présentent :
- Soit le e-marchand a vraiment commandé les tasses, et le nombre de demandes du cadeau a été supérieur à ses prévisions, dans quel cas, en bon professionnel il s’est senti obligé de donner une contrepartie aux personnes ayant demandé le cadeau mais ne l’ayant pas reçu.
- Soit le e-marchand n’a commandé aucune tasse, et il a voulu créé une frustration pour pouvoir amener ensuite une satisfaction décuplée avec un petit chèque cadeau.
Si l’hypothèse 1 est retenue, il n’y a pas grand chose à redire, le e-marchand a fait son travail. Si l’hypothèse 2 se confirme, nous avons à faire à quelqu’un de très malin. En effet, il a voulu utilisé la frustration, malheureusement, elle n’était pas assez forte. Le cadeau promi vaut environ 5 euros, et les mamans ne vont pas s’énerver pour en bénéficier. Si maintenant, il avait promi un objet avec une valeur perçue supérieure (genre une série limitée que tout le monde s’arrache), alors la frustration aurait été plus conséquente et la satisfaction aurait bénéficié d’un levier plus grand.
Dans les deux cas, il est bon de constater que le client a pu constater la qualité du service. Même si l’effet n’a pas été immense, Catherine sait que cet e-marchand fera tout pour tenir sa parole, même si les enjeux sont réduits, et cela aussi a un prix dans un paysage de l’e-commerce où la compétition est toujours plus grande, et où la qualité de service fait la différence plus que les prix.
Cette utilisation de la frustration, n’ a rien de neuf. Certains industriels s’en servent depuis des années. La pédale d’accélération des Maseratti est fragile, grosse frustration, mais le remplacement est entièrement pris en charge et la qualité d’accueil est exceptionnelle dans la concession : satisfaction maximum ! En plus, la présence dans la concession permet de faire du CRM… Certains fabriquants d’ordinateurs se sont aussi pris au jeu. Ils oubliaient volontairement d’ajouter un mode d’emploi, mais glissaient un numéro de hotline dans le carton (numéro spécifique => tracking et CRM). La personne au bout de fil promettait d’envoyer le document dans les plus brefs délais et d’y ajouter gratuitement quelques logiciels pour la peine causée… Vous imaginez bien que donner les logiciels tout de suite, ou de les donner dans cette situation ne donne pas la même image de la générosité et de la qualité du service client. En plus, si les gens n’appellent pas, vous économisez le prix des logiciels 😉
Ne faites pas de la frustration un ennemi
Malheureusement, si on peut faire des miracles avec la frustration, la créer sans ensuite apporter une satisfaction adaptée est un piège souvent fatal. Le sentiment d’un prospect ou d’un client dans une situation où la promesse n’est pas tenue doit être comprise et maîtrisée, au risque de perdre définitivement le client. Dit autrement, ne faites des promesses que vous n’êtes pas capables de tenir, uniquement si vous disposez d’un plan B qui apporte une sastisfaction suffisante.
Dernièrement, j’ai voulu remplacer mon téléphone portable avec le programme de renouvellement d’Orange. Je découvre alors que le Blackberry 8820 est en promotion : super !!! Je scrollle un peu, et là je découvre qu’il est indisponible. Voilà une situation frustrante au plus au haut point. Que le modèle ne soit pas disponible temporairement n’est pas un souci majeur, je suis capable d’attendre un peu. Mais la promotion, est-ce que je vais pouvoir en bénéficier ? Je me permets donc un conseil : ne poussez pas des promotions sur des produits non disponibles, car vous créez de l’excitation et une frustration en même temps… et surtout vous mettez en valeur votre incapacité à gérer votre stock.
Maintenant si vous promettez de maintenir la promo pour toute demande formulée, et qu’ensuite vous offrez 10 euros supplémentaires, je pense que vous avez compris la leçon du jour, et que vous allez satisfaire beaucoup de clients… |
Au fait, que les e-marchands ne se sentent pas les seuls concernés… Les services en ligne, et plus globalement tous les sites Internet doivent prendre garde. La frustration peut être générée autant par la communication, le marketing, les fonctionnalités, l’ergonomie que la qualité du service. Combien de bannières qui pointent sur des landing pages où on ne retrouve pas les offres, combien de sites qui buggent ?… Un dernier exemple pour la route. Je faisais dernièrement une recherche d’appartement. Comme il n’y avait pas d’adresse indiquée pour le bien, mais qu’il y avait un bouton de localisation, je me suis dit génial. Malheureusement, j’ai compris trop tard que ne pas mettre de lien aurait été plus malin… à moins qu’entre Corvisart et les Gobelins, la forêt d’Orléans se soit dissimulée 😉