Ce qu’il faut savoir sur les procès antitrust contre Google aux Etats-Unis

Article Media 18.10.2024
Par Guilhem Bodin

Le 5 août dernier, Google a été reconnu coupable par le tribunal fédéral de Washington de monopole dans la recherche en ligne, aboutissement d’une procédure initiée en 2020 par le ministère de la Justice et onze États américains. Quelles sont les implications potentielles de ce procès, mais aussi des autres procédures en cours des deux côtés de l’Atlantique ? Dans ce Filter, Guilhem Bodin, partner et expert média chez Converteo détaille les tenants et aboutissants de cette décision.

 

A retenir :

  • Un tribunal fédéral américain a conclu que Google a violé les lois antitrust en maintenant son monopole sur le marché des moteurs de recherche, notamment en payant des milliards pour être le moteur par défaut sur les smartphones et navigateurs. 
  • En plus de ce procès fédéral, Google fait face à d’autres poursuites antitrust aux États-Unis et en Europe : celles-ci visent tout particulièrement ses activités dans le domaine de la publicité en ligne. 
  • Cette décision, ainsi que les différentes procédures en cours dans le monde, pourraient entraîner des changements majeurs pour Google, allant de la cession d’activités à un possible démantèlement, en passant par des obligations accrues en matière de transparence et d’ouverture… 

 

En 2020, le ministère de la Justice américain (le “Department of Justice” ou DOJ) et onze États déposaient plainte contre Google, faisant valoir que l’entreprise s’était assuré une position dominante sur le marché des moteurs de recherche. Comment ? Notamment en payant des milliards de dollars aux fabricants de smartphones, aux fournisseurs de navigateurs internet et aux moteurs de recherche pour s’assurer que ses produits étaient installés par défaut. Par exemple, pour Apple, cette somme a représenté 20 milliards de dollars en 2022, en contrepartie du choix de Google comme moteur de recherche par défaut sur Safari.

 

 

Une décision “historique”

Quatre ans après le début de la procédure, le tribunal fédéral de Washington a confirmé les faits et conclut que Google a agi pour maintenir son monopole, en violation de l’article 2 de la loi Sherman. Selon le juge Amit Mehta qui a présidé ce procès de 10 semaines, ces pratiques ont permis à Google de dominer le marché de la publicité liée aux requêtes sur les moteurs de recherche. Le tribunal a également constaté que Google avait manipulé les prix à la hausse sur ce marché.

 

Avec cette conclusion souvent qualifiée d’“historique”, cette affaire est tout simplement le plus important procès antitrust dans le secteur des technologies depuis celui qui opposait les États-Unis à Microsoft dans les années 1990. Le ministère de la Justice doit maintenant présenter un plan avec les mesures que Google devrait prendre pour mettre fin à son monopole. Le juge devrait tenir des audiences au printemps 2025 pour déterminer sa sanction – que Google pourra contester en appel, jusqu’à la Cour Suprême.

 

 

Un procès qui en cache bien d’autres…

Dans le scénario le plus extrême, Google pourrait être contraint de se séparer d’Android et Chrome – une option mise sur la table par le Department of Justice, dans ses recommandations récemment envoyées au juge chargé du dossier. 

Parmi les autres mesures évoquées : la limitation ou l’interdiction des accords commerciaux signés notamment avec Apple, Samsung et Mozilla, ou encore l’interdiction d’installer la barre de recherche Google par défaut sur les smartphones Android. Le DOJ propose également d’obliger Google à partager certaines de ses données avec ses concurrents, comme son index de recherche. 

Mais ce n’est pas tout : outre cette affaire, Google fait également l’objet de plusieurs autres poursuites et enquêtes antitrust aux États-Unis, dans l’Union européenne et au Royaume-Uni, qui portent sur des accusations de comportement anticoncurrentiel sur les marchés de la publicité en ligne et des systèmes d’exploitation mobiles. En particulier, un nouveau procès fédéral s’est ouvert aux Etats-Unis le 9 septembre 2024, au sujet de la suite adtech de Google : il fait suite à une autre plainte du DOJ – associé cette fois-ci à 8 Etats – qui accuse l’entreprise de pratiques anticoncurrentielles et d’abus de position dominante sur ce marché.

En plus des amendes conséquentes, ces différents procès pourraient également conduire Google à apporter des changements importants à son organisation, notamment en cédant une partie de ses activités dans la publicité.

 

 

Démantèlement, cession(s) : quelles conséquences ? 

De fait, un démantèlement de Google serait la décision la plus lourde de conséquence pour l’entreprise. Il est peu probable dans le contexte (géo)politique actuel aux Etats-Unis, mais cette option n’est pas à exclure totalement. 

Sans aller jusqu’à un démantèlement strict, Google pourrait aussi avoir à céder certaines de ses “briques”. Dans le cadre de l’enquête antitrust en cours en Europe, Google aurait d’ailleurs pris les devants en proposant à la Commission européenne de céder Google AdX, l’entité qui réunit ses activités pour permettre aux éditeurs de vendre de la publicité.

Sans cette plateforme de vente et d’achat publicitaire, Google se trouverait ralenti dans sa course à l’automatisation publicitaire et ne pourrait plus vendre ses inventaires en “bundle” aussi facilement. Les annonceurs pourraient retrouver de l’autonomie dans leurs achats médias, mais y perdraient aussi en profondeur de données disponibles. Ils découvriraient aussi probablement des frais d’utilisation, jusqu’ici totalement cachés.

 

 

Vers une ouverture à des tiers ?

Les procédures en cours pourraient aussi n’aboutir qu’à des obligations accrues de transparence et d’ouverture – en plus des éventuelles amendes – alors qu’il est souvent reproché à Google d’être juge et partie sur le marché publicitaire. L’arrivée de tiers de confiance pour auditer et certifier les données de la plateforme serait bénéfique pour les annonceurs et le secteur de la publicité en ligne en général. Ces tiers pourraient ainsi vérifier la diffusion publicitaire, certifier les audiences et vérifier l’absence de hausse aléatoire de tarif – un autre point qui a été identifié à l’occasion du procès.

Enfin, Google pourrait se voir imposer l’intégration de vendeurs tiers sur ses plateformes, comme c’est déjà le cas pour les annonces Google Shopping en Europe. La publicité vidéo sur Youtube, voire également les liens sponsorisés sur le moteur de recherche, pourraient se trouver commercialisés par d’autres que Google. Ce serait alors une petite révolution !

Quel que soit le cas de figure, les changements prendront du temps, car le temps du régulateur et de la justice n’est pas celui du marché. Déjà, aux Etats-Unis, Google pourrait passer pour la première fois l’an prochain en dessous des 50% de parts de marché dans la publicité “search”, alors qu’Amazon et TikTok marchent de plus en plus sur ses plate-bandes !

 

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Par Guilhem Bodin

Partner Media x CRM