Data & Covid-19 : quelques enseignements sur les KPI économiques
Dans un premier article paru la semaine dernière dans le JDN, les équipes Converteo analysaient les indicateurs de la crise sanitaire sous le prisme de leur expertise de data analystes. Alors que 4 milliards d’individus sont actuellement confinés, l’impact, absolument sans précédent, de la crise sanitaire sur l’activité économique demeure difficile à évaluer.
Les premiers indicateurs évoqués par les média alors que le spectre de la pandémie commençait à se profiler concernaient les marchés financiers. Le 2 mars alors qu’aucun pays à l’exception des provinces chinoises, épicentre de l’épidémie, n’était confiné, le magazine Forbes faisait état d’un décrochage historique des indicateurs Dow Jones et S&P, perdant respectivement 14% et 13% en moins de 6 jours (1). La dernière fois que le S&P avait chuté aussi soudainement et fortement date de 1933. La volatilité des marchés financiers, s’est quant à elle fortement accrue. L’indice VIX, surnommé “indice de la peur” car il traduit les appréhensions des investisseurs (l’indice mesure la volatilité attendue pour les 30 prochains jours et se calcule sur la base du prix que les investisseurs sont prêts à mettre pour assurer ce risque) s’est fortement accru passant d’une moyenne entre 15 et 20 d’octobre à fin février à une valeur record de 82,69 au 16 mars 2020 jour de l’annonce du confinement généralisé en France. La dernière fois que l’indice VIX s’était approché des 80 date du 24 octobre 2008 alors que le monde plongeait au cœur de la crise financière et que les annonces de faillites des grandes banques se multipliaient. Que nous apprennent ces indicateurs ?
Premier enseignement : le monde est entré dans une phase où règne l’incertitude. La crise sanitaire, ses conséquences sur la circulation des biens et des personnes et par ricochet sur la solvabilité des entreprises et des ménages est une situation inédite et par définition imprévisible. Ils sont en revanche des témoins biaisés de la situation de l’économie réelle sur les marchés et de l’évolution du bilan humain. Dow Jones, CAC 40, Nasdaq, Nikkei, tous ces indicateurs repartent à la hausse après une chute brutale sur les 3 premières semaines de mars alors même que le confinement se durcit dans de nombreux pays. Suivre ces indices boursiers sert donc plus de guide à l’investisseur potentiel à la recherche de bénéfices qu’à connaître la valeur réelle des entreprises et l’état de l’économie mondiale, thèse confirmée en partie par le fait que les marchés boursiers sont restés ouverts alors même que la conjoncture n’était en aucun cas favorable à un financement des entreprises sur les marchés publics.
L’impact sur l’économie “réelle” (par opposition aux marchés financiers) peut quant à lui être quantifié au travers de plusieurs indicateurs distincts. Le premier et le plus évident concerne l’évolution du Produit Intérieur Brut (PIB). Le PIB mesure, de manière simplifiée, la “richesse créée” par les ménages, entreprises et administration d’un pays ou territoire donné. Il reflète donc l’activité économique interne à un pays. Les premières estimations rendues publiques par la Banque de France le 8 mars font état d’un repli de 8% du PIB sur l’année 2020 (2), l’activité économique sur le territoire français ayant baissé de 32% sur la même période. En Chine, alors que les prédictions de croissance tablaient sur une hausse du PIB proche de 5% en 2020, les estimations suite à l’épidémie laissent entrevoir une croissance nulle voire une récession (3). En France, pareils constats sont réalisés à l’échelle des différents secteurs d’activité avec en première ligne l’industrie. L’automobile tourne toujours à 10 % de ses capacités de production, l’aluminium à 30 % et le textile à 35 %. Dans l’aéronautique, 60 % des sites industriels sont fermés. De même, dans la construction, 85 % des chantiers sont arrêtés (4). Ce ralentissement de la production se traduit naturellement par une baisse des besoins de main d’œuvre et une hausse du chômage à l’échelle planétaire. En France, 9 millions de salariés seraient concernés par le chômage partiel (5) (sur 26,9 millions d’actifs (6)), aux États-Unis le nombre de nouveaux demandeurs d’allocation chômage a dépassé le cap des 6,65 millions la semaine du 21 au 28 mars, le précédent “record” d’inscriptions hebdomadaire datant de la crise financière de 2008. Il était alors dix fois moindre (665 000 inscrits (7)). En un mois, ce sont 22 millions de personnes qui ont perdu leur emploi (8). Au-delà de ces indicateurs classiques dans le paysage de l’analyse économique, mais atteignant des valeurs ou variations historiques, le PMI pour Purchase Manager Index (ou indice des directeurs d’achat) donne de bonnes indications sur la direction que prend la crise économique. Cet indice est élaboré sur la base d’un sondage mensuel envoyé aux cadres supérieurs des achats des grandes entreprises dans les secteurs économiques principaux pondérés en fonction de leur contribution au PIB des états/régions. Le sondage couvre les thématiques suivantes : prises de commande, production, emploi, stocks et livraisons. Une valeur inférieure à 50% indique la contraction d’un secteur quand une valeur supérieure à la moyenne indique une expansion. Sur le mois de mars 2020, le PMI des services dans la zone euro est tombé à 26,4 (9) (52,6 en février) quand celui de l’industrie baissait de 49,2 à 44,5. Cet indicateur sera à suivre sur avril alors que les impacts plus durables du confinement se feront ressentir et à mettre en regard du nombre de défaillances d’entreprises liées à la crise. Coface estime à ce sujet une hausse des défaillances de 25% à l’échelle mondiale, 15% en France et près de 40% aux Etats Unis.
Une fois l’impact de la crise économique liée au Covid-19 établi et mesuré à l’échelle d’un pays, il est nécessaire de le replacer dans le contexte d’une économie mondialisée où le commerce de marchandises représentait en 2018 près de 47% du PIB mondial (10). La pandémie ayant entraîné des restrictions de circulation des biens et des personnes, des fermetures de frontières, son impact sur le commerce international et les volumes d’import/export ne peut être négligé. Selon l’Organisation Mondiale du Commerce, l’épidémie pourrait entraîner une diminution du commerce international de 13% sur 2020 et jusqu’à 32% dans son scénario le plus pessimiste (11), les secteurs les plus touchés étant ceux basés sur des chaînes de valeurs complexes et multi-approvisionnées depuis différentes régions du monde comme l’électronique ou l’automobile. Le secteur des services quant à lui devrait être touché indirectement par les restrictions imposées sur les transports et les trajets internationaux (12). Les prédictions de l’OMC indiquent dans un scénario optimiste un rattrapage de la croissance à partir de 2022. Dans une version plus pessimiste, le volume des échanges internationaux atteindrait à peine celui de 2011, 2 ans après la crise. Le PMI et ses sous-indicateurs donnent également une perspective sur l’impact de la crise avec un indice de commandes d’exportation tombant à 43,3 pour les exportations de biens et 35,5 pour les exportations de services (13).
Ces indicateurs macro-économiques donnent une vision assez précise de l’ampleur de la crise que traverse et va traverser l’économie mondiale tout en témoignant de la difficulté à établir des projections à moyen et long terme, les facteurs inconnus étant encore trop nombreux. Une question rarement soulevée concerne toutefois l’impact de la crise économique sur la situation sanitaire des pays et l’incrément de décès et maladies qui seront à attribuer aux difficultés économiques traversées par les individus. Un impact directement observable concerne les tensions sur les chaînes d’approvisionnement alimentaire et les craintes de voir se dessiner de nouveaux épisodes de famine notamment en Afrique de l’Ouest. En Inde, le confinement oblige des millions de travailleurs journaliers soudainement sans occupation et donc sans revenu à reprendre la route pour rejoindre à pieds leurs provinces natales parfois distantes de centaines de kilomètres, fuyant la faim plus que le virus (14). Si les mesures de confinement ont un impact moins direct et dramatique sur la “survie” des populations des pays développés, une situation de chômage de masse qui perdurerait plusieurs mois/année aurait également des conséquences sanitaires dramatiques. En France, sur une année à la conjoncture “normale” le chômage tuerait entre 10 000 et 14 000 personnes (15). Les raisons en sont multiples : hausse des comportements d’addiction, troubles psychologiques notamment de stress post-traumatique ou de dépression, sédentarité, troubles du sommeil, eux-mêmes étant des facteurs de risque cardio-vasculaire. Aux Etats-Unis, où la condition d’accès aux soins est liée à la situation de l’emploi (l’assurance santé étant négociée avec l’employeur), une augmentation du chômage correspond à autant d’individus ne pouvant potentiellement plus se soigner. Selon The Lancet, la hausse du chômage liée à la crise de 2008 aurait causé 500 000 morts supplémentaires par cancer dont 160 000 morts en Europe. Des chiffres dramatiques, qui ne seront connus qu’une fois la crise dissipée mais qui seraient à mettre en regard du nombre de décès potentiels directement attribués au Covid-19.
Afin de ne pas clore cet article sur une note à même de sombrer dans le désespoir, examinons les différents scénarios de reprise potentiels. Le premier se traduit par une courbe dite “en V” avec une chute brutale et massive du PIB mais une sortie de crise également rapide (d’ici au début de l’été) et un rattrapage tout aussi rapide grâce à la reprise de la consommation et de la production soutenues par les politiques de relance des gouvernements et les plans de financement des banques centrales. Le second scénario commence comme le premier mais avec une période de stagnation, de reprise lente et partielle de l’économie liée à un déconfinement progressif et à l’effet des défaillances d’entreprises dans certains secteurs, donnant l’image d’une courbe en U. Enfin, dernier scénario peut-être le plus tempéré, celui d’une courbe “en W” avec une reprise de l’économie très rapide liée à l’euphorie de la “fin de la guerre” contre le virus rapidement tempérée par le constat des dommages faits à l’économie mondiale et une nouvelle vague de panique et la nécessité d’un nouveau rebond plus ou moins rapide. Autant de scénarios possibles et aucune certitude, preuve que la multiplicité et parfois sophistication des indicateurs créés pour les besoins des économistes et financiers de tous bords sont encore loin de fournir des boules de cristal aux décideurs politiques.
Ainsi si notre tribune précédente sur les KPIs de la crise sanitaire nous amenait à la conclusion que le monde était encore peu “équipé” en indicateurs à même de traduire l’impact d’une pandémie sur la santé publique et d’en prévoir l’évolution, nous constatons sans surprise que la discipline économique est plus mature dans l’élaboration d’indicateurs descriptifs et prédictifs de phénomènes de crise. Toutefois si les indicateurs cités tout au long de l’article sont adaptés à un suivi des effets brusques et immédiats du Covid-19 sur l’économie mondiale, l’impact réel ne pourra être évalué qu’à posteriori comme cela a pu être le cas pour les crises de 1929 ou 2008. Par ailleurs, ces indicateurs font un constat, ils n’indiquent pas une direction et ne permettent pas de définir quelles politiques de relance mettre en œuvre et quels secteurs soutenir en priorité. Le PMI traduit les appréhensions du business mais n’indique pas sur quels éléments prioriser les aides publiques. Autant de questions qui sont donc à explorer : l’aide publique doit-elle être fournie en priorité aux banques afin d’irriguer tout le système (avec le risque de voir ces deniers ne jamais redescendre dans l’économie réelle) ou directement aux particuliers pour relancer la consommation ? Quelle mesure du triptyque envisagé actuellement aura le plus d’effet et permettra le rebond nécessaire à la sortie de crise : soutien aux entreprises via des prêts garantis par l’Etat, recours au chômage partiel et/ou revenu universel ? Seul l’avenir nous le dira.
Sources :
1 – https://www.forbes.fr/finance/covid-19-10-chiffres-pour-comprendre-limpact-sur-les-marches/
2 – https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/19/une-chute-du-pib-d-au-moins-8-cette-annee-pronostique-le-gouverneur-de-la-banque-de-france_6037058_3234.html
3 – https://www.la-croix.com/Economie/Coronavirus-Chine-redemarre-peur-dune-deuxieme-vague-epidemique-2020-04-08-1201088400
4 – https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/coronavirus-chute-alarmante-de-lactivite-economique-en-france-1192673
5 – https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/18/il-faut-se-serrer-un-peu-plus-la-ceinture-quand-chomage-partiel-rime-avec-fiche-de-paie-amputee_6037013_3234.html
6 – https://www.insee.fr/fr/statistiques/3676623?sommaire=3696937
7 – https://www.lefigaro.fr/conjoncture/etats-unis-pres-de-10-millions-d-inscrits-au-chomage-en-deux-semaines-20200402
8 – https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/16/en-un-mois-22-millions-d-americains-se-sont-inscrits-au-chomage-en-un-mois_6036842_3234.html
9 – https://fr.investing.com/economic-calendar/services-pmi-272
10 – https://donnees.banquemondiale.org/
11 –https://www.lefigaro.fr/conjoncture/en-2020-la-crise-des-echanges-commerciaux-devrait-depasser-celle-de-2008-20200408
12 – https://www.wto.org/english/news_e/pres20_e/pr855_e.htm
13 – https://www.wto.org/english/news_e/pres20_e/pr855_e.htm
14 – https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/en-inde-des-foules-enormes-sur-les-routes-pour-fuir-le-coronavirus_3869409.html
15 –https://www.francetvinfo.fr/sante/soigner/le-chomage-serait-responsable-de-10-000-a-14-000-deces-par-an_2949371.html
Auteur : Léa Guyon, Manager Data x Business Consulting
Contributeurs : Hamdi Amroun, Lead Data Scientist & Raphaël Fétique, Directeur Associé