La politique de frais de port comme outil marketing
Tout e-commerçant doit intégrer dans son business model un calcul précis de ses coûts de livraison, décider de la part de ces coûts qui sera supportée par ses clients, et enfin communiquer de manière transparente (et rentable) ces “frais de port” affichés.
Les modalités d’emballage, de préparation de commande, d’expédition et de retour doivent non seulement être adaptées au type d’article vendu et à la clientèle visé, mais aussi garantir une marge satisfaisante pour l’article considéré. A cet égard les frais de livraison affichés sur le site reflètent de manière plus ou moins transparente les coûts de livraison effectifs de l’entreprise, qui dépendent eux-mêmes des dimensions de l’article, de son poids, de la proximité du lieu de livraison, du montant total de la commande, etc.
Ces coûts réels ne suivant généralement pas une courbe ou des paliers intuitifs selon un de ces critères, ils diffèrent souvent des frais de port communiqués au client, dont l’affichage dépend surtout de la stratégie marketing de l’e-commerçant.
Les frais de port sont aujourd’hui pour les utilisateurs de sites e-commerce un facteur différenciant de première importance (sondage IFOP – Generix : le montant des frais de livraison est cité comme l’un des principaux freins à l’achat sur Internet par 55% des sondés).
De l’importance accordée aux frais de port
Les clients d’un site e-commerce ont tendance à comparer les prix des articles consultés à ceux qu’ils pensent trouver dans des magasins physiques. Une des principales raisons motivant l’achat en ligne est en effet la réalisation d’économies, par rapport à l’offre physique mais aussi par la comparaison des sites e-commerce entre eux, très facile sur le web (sondage IFOP – Generix).
Le corollaire de cette constatation est que toute addition de frais cachés ou mal annoncés (livraison, assurance obligatoire, etc.) peut faire fuir un utilisateur de site e-commerce, qui tend à considérer qu’une fois sur le site il ne devrait lui rester qu’à choisir le produit et à le régler au prix annoncé en début de processus d’achat.
David Bell, professeur de marketing à la Wharton School, avait déjà observé en 2006 lors d’une étude sur une épicerie en ligne que de nombreux clients préféraient se voir offrir les frais de port (6,99 dollars) plutôt qu’un bon de réduction de 10 dollars ; ce type de clients demande d’abord à un site de e-commerce d’offrir les frais de livraison, quitte à payer les produits en ligne au même prix qu’en magasin, car il valorise alors le confort d’un achat rapide et sans déplacement.
Ceci a mené de grands acteurs du e-commerce, tel Amazon, à proposer la gratuité des frais de port comme un produit, sous la forme d’abonnement annuel, avec un succès notable (Amazon Premium : 49 € pour la livraison en 1 jour ouvré gratuite à volonté).
Calcul des frais de port
De nombreuses possibilités de calcul et de communication des frais de livraison existent. Voici les principales méthodes utilisées sur les sites e-commerce :
Frais de port linéaires
Les frais de port sont linéairement proportionnels à un critère (poids, nombre d’articles, etc.), ce qui simplifie le calcul mais peut vite faire augmenter les frais de livraison, et nécessite donc une communication très claire afin de sembler juste pour le client.
Frais de port au kilo pour des meubles – Produit Interieur Brut
Les forfaits par paliers et/ou par catégories de produit
Les frais de port sont découpés en forfaits selon des tranches (de prix, de poids, ou par type de produit), ce qui a tendances à défavoriser les petites commandes. Si ces forfaits sont trop nombreux, ils peuvent brouiller la communication du site, voire entraîner des effets de seuils et donner l’impression de frais abusifs.
Frais de port fixes
Le coût de livraison est fixe, quels que soient les produits et les quantités. Ceci fonctionne surtout en cas de sites vendant des produits de taille et poids similaires ; si ce n’est pas le cas, ce coût peut sembler abusif ou au contraire pousser les utilisateurs à commander souvent par petites quantités et ainsi faire diminuer les marges de l’e-commerçant.
Frais de port offerts
Certains e-commerçants peuvent se permettre d’offrir les frais de port sans pour autant avoir des produits sensiblement plus chers que la concurrence. C’est aujourd’hui une quasi-norme pour l’e-commerce de chaussures et de vêtements, aux marges plus confortables, comme l’est dans ces secteurs le retour produit gratuit. La plupart des e-commerçants doivent se contenter d’offrir ponctuellement les frais, et/ou de le faire sous conditions afin de rester rentables :
- A partir d’un certain montant : le coût effectif de livraison au kilo ou à l’article pour l’entreprise étant souvent décroissant, la marge n’est pas ou peu atteinte en cas de commande importante
- Aux clients réitérant un achat : proposer à ses clients un bon offrant la livraison lors d’un prochain achat pour pousser au ré-achat
- Pour certains produits : livres ou vêtements peu coûteux à livrer par exemple, comme le fait Amazon
- A la livraison en magasin physique ou point relais : l’économie réalisée par l’e-commerçant est répercutée sur les clients prêts à sacrifier le confort d’une livraison à domicile
Bonnes pratiques et enjeux de la politique de frais de port
Les frais de livraison représentant un aspect important pour les internautes, ils doivent être considérés comme partie intégrante de la stratégie marketing e-commerce. Pour un coût relativement modique, les e-commerçants peuvent ainsi choisir d’assumer la totalité ou une partie des coûts de livraison pour améliorer leurs ventes.
Proposer des seuils afin d’augmenter le panier moyen
Des frais de port dégressifs ou offerts à partir d’un certain montant ou d’un certain nombre d’articles permettent de pousser les utilisateurs à augmenter le montant de leur panier moyen. L’objectif est bien sûr que cette augmentation du panier couvre l’effort fait par l’e-commerçant en offrant les frais de port. La détermination du seuil de montant doit résulter de calculs (selon les marges réalisées notamment) et de tests afin de déterminer le seuil permettant la plus grande (et rentable) augmentation du panier moyen.
Indiquer clairement le montant restant avant le seuil choisi, voire proposer des articles permettant d’atteindre ce seuil, est un vrai plus pour encourager les clients à augmenter le montant de leur panier.
Indication du montant restant avant le seuil de frais port offert – Archiduchesse
Communiquer abondamment pour augmenter le taux de conversion
La politique de frais de livraison d’un site e-commerce doit rester simple et compréhensible. Une étude menée par PayPal et ComScore en 2008 indique que 43% des internautes abandonnent leur panier à cause de frais de port étonnamment élevés ; communiquer dès la page d’accueil, sur chaque page (notamment les fiches produits) et tout au long du processus d’achat la politique du site concernant les frais de port (surtout s’ils sont offerts) permet de rassurer les utilisateurs et de leur éviter de mauvaises surprises en fin de processus d’achat. Les e-commerçants expédiant en dehors de certaines zones dédouanées doivent de même communiquer de la manière la plus transparente possible les taxes que le client devra payer à la réception des articles, pour éviter par la suite toute surprise au client, et par conséquent une mauvaise publicité…
En cas d’offre de livraison gratuite limitée (à l’occasion de Noël par exemple), il est très important d’annoncer clairement la date limite de l’offre de livraison gratuite (souvent plus lente) pour avoir l’article à temps lors des fêtes, ceci afin de rassurer l’utilisateur et de le pousser à un achat rapide.
Si un site e-commerce peut se permettre d’offrir de manière durable les frais de port, il a tout intérêt à ne pas oublier d’inclure dans les métadonnées (voire dans le titre) de ses pages des mentions du type « frais de port gratuits » ou « livraison gratuite », afin de valoriser son offre et d’être trouvé sur les moteurs de recherche.
Offrir ponctuellement ou sur certains articles les frais de port pour dynamiser les ventes
Offrir ou diminuer les frais de port permet de déstocker certains articles et/ou d’acquérir de nouveaux clients par un effet de produit d’appel, comme peut par exemple en bénéficier Amazon (frais offerts pour les livres, vêtements et chaussures).
De même, de nouveaux clients peuvent être attirés par des frais de port gratuits lors d’événements ponctuels (fêtes de Noël, soldes, etc.) ; la livraison gratuite limitée dans le temps peut les encourager à acheter immédiatement.
Récompenser des clients pour les fidéliser
Des opérations d’e-mailing sur la base de clients ou des bons “livraison offerte” proposés à la fin d’une transaction permettent de fidéliser les clients et d’améliorer l’image de marque du site e-commerce.
Proposer aux clients des points de retrait physiques
La possibilité pour un client de retirer en magasin ou en point relais ses achats est un vrai avantage concurrentiel pour le e-commerçant. Les livraisons étant souvent effectuées pendant les heures de bureau, il est appréciable pour le client de pouvoir choisir un lieu de retrait adapté pour retirer son colis en journée près de son travail, ou le soir près de son domicile.
Cette option offre un confort supplémentaire pour le client absent de chez lui en journée, et peut être proposée pour des frais de port moindre ou offerts car elle permet des économies au e-commerçant. Elle peut être utilisée comme argument commercial, que le site dispose d’un ou plusieurs locaux en propre (zone de chalandise limitée) ou qu’il se repose sur un réseau national de points de retrait (So Colissimo, Relais Colis, Kiala, etc.).
Modes de livraison et retrait offert – CDiscount
Intégrer les coûts de livraison dans le prix des articles (franco de port)
Il s’agit de se méfier de la tentation d’intégrer au prix des articles les coûts de livraison, solution qui plaît au premier abord au client ; cette stratégie n’est recommandée que pour les e-commerçants vendant des produits uniques ou associés avec d’autres produits ou services en ensembles difficilement comparables avec les offres concurrentes.
Les utilisateurs comparent très facilement les articles de différents sites e-commerce, et en premier lieu par leur prix ; la réintégration des coûts de livraison dans le prix des articles exclut de fait ces derniers du processus de choix des utilisateurs, qui passent souvent par des comparateurs automatiques ne considérant pas les frais de port. Comme relevé plus tôt dans cet article, et par analogie avec les enseignes physiques, les acheteurs en ligne ont naturellement tendance à réfléchir en prix “tout compris”, ce qui fausse leur perception.
Aller plus loin
Ces bonnes pratiques doivent bien entendu être adaptées selon le site e-commerce, son secteur, ses marges, les types d’articles vendus et la culture des clients. Il est souvent inspiré pour les acteurs e-commerce de surveiller ce que fait la concurrence en matière de politique de frais de port, et de tester (tests A/B, campagnes ponctuelles, etc.) certaines hypothèses en suivant des indicateurs de webanalyse tels que le taux de conversion ou le taux d’abandon panier (et à quelle étape). Ces indicateurs doivent ensuite être mis en regard des performances de vente (nombre de ventes, montant du panier moyen, marge dégagée, etc.) afin de vérifier que la politique de frais de port remplit bien les objectifs fixés.
Avant d’agir, il s’agit de se méfier des effets néfastes de certaines opérations sur la politique de frais de port. Par exemple, passer d’une politique de montant-seuil débloquant les frais de port offerts à une politique de frais de port offerts sans seuil peut augmenter le nombre de ventes de montant relativement faible, voire augmenter le chiffre d’affaires, et pourtant diminuer les bénéfices si les marges sont amoindries.
L’étude menée par PayPal et ComScore en 2008 révèle par ailleurs qu’il est difficile de faire marche arrière après une offre durable incluant les frais de port gratuits sans conditions : 72% des internautes sondés déclarent que si un site élimine la gratuité des frais de port, ils achèteront sur un autre site qui les offre. La prudence, le suivi et les tests sont donc de mise.
Cet article, rédigé par un consultant Converteo, a été publié pour la première fois sur le site du Journal du Net le 26 juillet 2013.