Réinventer l’expérience client avec l’intelligence artificielle
Dans un monde où l’expérience digitale et l’intelligence artificielle (IA) redéfinissent les interactions clients, il est crucial de comprendre comment les marques naviguent dans ce paysage en constante évolution. Pour cela, Gary Roth, VP Business Value Services chez Contentsquare, et Laurent Nicolas-Guennoc, Chief Marketing Officer chez Converteo et host du podcast Changement d’époque en cours consacré à l’IA, offrent leurs perspectives.
Avez-vous été un « early adopter » de l’IA, ou cela est-il venu plus tard dans votre carrière ?
Gary Roth : J’aurais aimé dire oui, mais les vrais précurseurs étaient dans les années 50 avec le perceptron, puis dans les années 80 avec des algorithmes essentiels. Ce sont les années 2000 avec la migration vers le cloud et l’explosion des données qui ont conduit à des avancées significatives, suivies des années 2010 avec la montée en puissance de la capacité de calcul.
Laurent Nicolas-Guennoc : Comme des millions de citoyens connectés, cela fait déjà plusieurs années que j’utilise Waze quand je suis en voiture, ou la puissance de DeepL pour traduire des textes. L’IA a déjà largement commencé à changer notre quotidien. En ce qui concerne les robots conversationnels d’IA génératives de textes ou d’images, en toute honnêteté j’ai pris la vague comme beaucoup, fin 2022, mais depuis, oui, ces outils font partie des solutions que j’utilise au quotidien.
Complétez la phrase : Pour moi, l’IA est…
Gary : … probablement l’une des plus grandes révolutions technologiques de notre vie, sans parler de l’informatique quantique, qui pourrait également arriver. C’est à la fois la plus grande opportunité que nous ayons connue à ce jour, mais aussi potentiellement une menace pour l’humanité.
Laurent : Un ensemble de technologies à usage général dont nous ne faisons que commencer à percevoir l’immense potentiel de transformation – et, ce faisant, de déstabilisation, ou comme l’écrit Mustafa Suleyman d’amplification des fragilités – de la société et de l’économie, n’ayant identifié qu’une infime partie des finalités et applications futures. À l’invention de l’électricité, nous avons rapidement inventé l’ampoule, mais de là à imaginer le TGV…
Comment voyez-vous l’adoption de l’IA dans les grandes entreprises ?
Gary : L’adoption de l’IA dans les grandes entreprises a été extrêmement rapide, contrairement aux révolutions technologiques précédentes. Des sociétés comme L’Oréal et Coca-Cola ont réussi à créer des produits puissants propulsés par l’IA en un temps record. Cependant, un des défis majeurs reste le coût de l’IA. À long terme, les entreprises devront évaluer non seulement les performances des technologies IA, mais aussi leur coût et leur impact environnemental.
Laurent : Il y a plusieurs mouvements parallèles. L’année 2024 est déjà marquée par une rationalisation des expérimentations, une concentration sur quelques projets dans lesquels on pressent une plus forte valeur ajoutée des algorithmes d’IA, d’une part, et d’une capacité à passer à l’échelle, à s’intégrer à l’architecture IT et cloud des entreprises, d’autre part. C’est la fin de la récré, on arrête de bricoler. Pourtant au même moment, de nouvelles fonctionnalités d’intelligence artificielle, notamment générative, sont intégrées dans des suites bureautiques (Microsoft, Google évidemment) utilisées par des centaines de millions de salariés. Reflux d’un côté, lame de fond de l’autre.
Quelles sont les principales barrières à l’adoption de l’IA dans les entreprises aujourd’hui ?
Gary : Le principal défi est souvent la réticence au changement et le manque de ressources spécialisées. Une approche progressive, en commençant par des actions à petite échelle, peut aider à surmonter ces obstacles. Il est crucial de commencer avec un cas d’utilisation réel : une initiative IA doit répondre à un besoin commercial concret, que ce soit pour ajouter de la valeur pour les clients, réduire les coûts, améliorer la synergie avec les partenaires ou augmenter la croissance des revenus.
Laurent : La barrière principale est à mon sens l’utilité réelle de l’IA dans l’entreprise et sa mesure. Est-ce réellement une aide pour mes tâches ? Est-ce plus fiable, plus rapide ? Comment puis-je m’en assurer, le calculer ? Faire croire à une direction générale, ou aux collaborateurs de l’entreprise, que l’IA est la clé technologique qui va solutionner tous les projets ne fait que créer de la déception et risque de mal orienter les investissements. Il faut au contraire garder une capacité à poser le bon diagnostic technologique, mettre les bons outils en face des problèmes identifiés. L’IA est fantastique pour de nombreux cas d’usages, notamment au sein des directions générales, marketing, commerciales, ou produit que nous accompagnons ; elle est disproportionnée, ou simplement inadaptée pour d’autres.
Comment aidez-vous vos clients à surmonter ces défis ?
Gary : Nous aidons nos clients en leur offrant des solutions plug-and-play qui minimisent les barrières technologiques. Par exemple, notre tag est compatible avec 99 % du marché sans problème de compatibilité, ce qui simplifie l’intégration. Nous avons également une équipe dédiée à l’optimisation des performances pour garantir que notre technologie n’affecte pas négativement la vitesse des sites Web. Enfin, nous intégrons nos solutions à la stack technologique existante de nos clients, y compris Adobe Analytics, Splunk, Dynatrace, Salesforce, etc., pour maximiser la valeur ajoutée.
Laurent : En étant agnostique vis-à-vis des technologies du marché, le seul moyen de résister à la hype est de ne jamais perdre de vue leurs besoins. En tant que cabinet de conseil auprès des grandes entreprises, nous nous devons de prendre le temps de comprendre l’environnement technologique existant, de mesurer le niveau de maturité à la fois des systèmes et, surtout, des équipes et des organisations. L’IA, comme toute nouvelle technologie majeure, percute des organisations humaines : il n’y a par exemple pas de réponse uniforme à la question de savoir s’il faut nommer, ou pas, un « Chief AI Officer ». Il n’y a qu’un travail sérieux d’immersion dans la culture de l’entreprise qui permet de savoir si cette nomination est pertinente, et, si oui, à quel niveau la positionner, avec quelle feuille de route et quels moyens.
Quelles applications de l’IA offrent le meilleur retour sur investissement selon vous ?
Gary : Cela dépend vraiment de votre maturité et de vos ressources, y compris votre équipe et votre budget. Pour certains, les technologies immersives permettent aux clients de voir les produits sous tous les angles. D’autres bénéficient de la recherche propulsée par l’IA pour connecter rapidement les bons produits aux bons clients. Les technologies d’essayage, comme la démonstration impressionnante de Google, pourraient être révolutionnaires si elles fonctionnent bien.
Laurent : Nous constatons des gains de productivité forts dans l’automatisation par l’IA de la production de contenus optimisés pour les moteurs de recherche (SEO) comme nous l’avons fait avec L’Oréal sur des bases documentaires d’une volumétrie impossible à traiter à la main. Nous avons également obtenu avec le Groupe Seb de très bons résultats en allant ajouter aux fiches produits, grâce à l’IA, des informations jusqu’ici quasiment inexploitables, car stockées dans des sources non structurées comme les PDF. La création dynamique de visuels contextualisés dans des environnements publicitaires, ou encore l’assistant conversationnel d’aide à la vente sur des sites eCommerce sont également des cas dans lesquels nous sommes très optimistes sur le ROI des systèmes d’intelligence artificielle, au vu des premiers projets encore confidentiels sur lesquels nous avançons avec des acteurs de premier plan.
Quels sont les cas d’utilisation de l’IA qui, selon vous, sont les plus accessibles et les plus efficaces pour les entreprises de taille moyenne ?
Gary : Les interfaces à sessions et les grands modèles de langage (LLM) ne coûtent qu’une vingtaine d’euros par mois. Ces modèles puissants sont polyvalents et peuvent être utilisés par n’importe qui dans une organisation.
Laurent : La réponse à cette question risque de changer vite au vu des progrès des systèmes et des besoins de l’entreprise bien sûr, mais je dirais que commencer par utiliser un grand modèle de langage (LLM) pour produire davantage de contenus multimédias pertinents pour son blog, son site Internet, ses réseaux sociaux, ses newsletters, est un premier pas à la portée de beaucoup d’équipes même sans bagage technique. L’IA peut également faire gagner beaucoup de temps dans la recherche de documents internes (knowledge management), la synthèse de réunions, la traduction, la transcription du texte en audio, en vidéo, et vice-versa de l’audio en texte.
Quelle est votre vision pour le magasin en ligne du futur ? Comment pensez-vous que les expériences d’achat évolueront avec l’IA et les technologies immersives ?
Gary : Je pense qu’il n’y aura pas un seul type de magasin en ligne à l’avenir, mais plutôt une multitude d’expériences adaptées à différents types de clients. Par exemple, mes parents continueront probablement à préférer un site eCommerce simple, tandis que ma nièce, qui passe ses journées sur Roblox, sera plus attirée par des magasins immersifs en 3D. Mon rêve personnel est de faire du shopping en 3D dans mon salon, dans un grand magasin virtuel au bord de la mer, avec une livraison le lendemain par Amazon. L’IA et les technologies immersives transformeront ces expériences, rendant les achats en ligne plus interactifs et personnalisés.
Laurent : Le succès du magasin du futur reposera, je crois, toujours sur la capacité à mettre le consommateur dans une situation de confiance. Confiance dans le produit bien sûr, confiance dans la recommandation, dans le conseil, dans l’information autour de ce produit. En 2050, pourquoi j’achète ce t-shirt ? Parce qu’une application me dit que mon stock de t-shirts est en fin de vie et que le renouvellement d’une pièce est nécessaire. Parce qu’ensuite, je peux enfiler le modèle virtuellement et voir tout de suite qu’il va bien avec la couleur de mes yeux. Et une fois rassuré sur le style, j’accède en un clic à toute la chaîne d’approvisionnement, scope 3 inclus, me donnant à voir d’où viennent les matières premières, leur qualité, où se situent les lieux de transformation. J’ai effectivement besoin de ce t-shirt, je suis rassuré sur le fait qu’il me convienne, et j’estime que son impact environnemental est soutenable : j’ai confiance, j’achète.