Roadmap AI – Évaluer le ROI de l’IA : sur quels indicateurs s’appuyer ?

La question du retour sur investissement de l’IA est au cœur des préoccupations des décideurs : sans surprise, ce sujet a été abordé à de nombreuses reprises pendant la journée Roadmap AI 2025. Entre promesses de gains de productivité et réalité des coûts cachés, comment évaluer précisément la rentabilité des projets d’IA ? Quels indicateurs privilégier pour piloter efficacement ses investissements ? Tour d’horizon.
À retenir
- Le ROI de l’IA ne se limite pas aux gains financiers à court terme : il convient aussi de prendre en compte les bénéfices qualitatifs comme l’amélioration de la prise de décision, la réduction des biais, l’accélération des processus et l’instauration d’une culture data commune
- Les coûts cachés doivent aussi être intégrés aux calculs, sans pour autant les surestimer : coûts de collecte, nettoyage et gouvernance des données, conduite du changement, formation des équipes, maintenance des modèles, et impact environnemental…
- Pour évaluer la qualité, il faut privilégier l’observabilité : intégrer les modèles IA dans des plateformes maîtrisées permet d’accéder aux données d’interaction, de consommation et de qualité de service, facilitant un calcul plus fin du ROI.
Quand il est question du ROI de l’IA, la réponse évidente est de calculer le coût du projet rapporté à ses gains financiers. Mais ce ne serait traiter qu’une partie du sujet ! Car c’est bien un point sur lequel s’accordent la plupart des intervenants de la journée Roadmap AI Marketing Day 2025 : même s’ils sont indispensables pour convaincre les comités de directions, les gains financiers à court terme ne sont pas les seuls à prendre en compte pour évaluer la pertinence et la pérennité d’un projet IA.
C’est ce que souligne notamment Antoine Genot, Global Marketing Performance Director chez Pernod Ricard. Son projet de Marketing Mix Modeling, déployé dans 13 marchés en l’espace de deux ans, a évidemment enregistré un ROI financier mesurable à court terme. Mais il a aussi permis d’enregistrer des améliorations sur d’autres paramètres, notamment l’amélioration de la prise de décision, la réduction des biais dans l’achat média, ou encore l’accélération des processus.
Antoine Genot évoque ainsi « une prise de décision plus courageuse et plus rapide« , mesurée notamment par la variance des investissements marketing d’une année sur l’autre, qui est passée de ±1 % à ±10 %, ce qui traduit des arbitrages plus agiles et affirmés de la part des équipes qui bénéficient des éclairages apportés par l’outil.
Insuffler une culture commune de la data
Autre avantage, et non des moindres pour Pernod Ricard : “il y a un énorme bénéfice culturel d’être dans une entreprise beaucoup plus data-driven, avec un langage commun qui permet au directeur marketing et au DAF de se parler le même langage”, souligne-t-il.
Le son de cloche est identique chez Teract (qui inclut des enseignes comme Jardiland, Gamm vert, Frais d’ICI et Bio&Co) : le projet data/IA mené avec Snowflake et Imagino pour faciliter la personnalisation des communications en fonction du contexte local a permis de diffuser « une culture de la data à tous les niveaux de l’entreprise”, selon les mots de Remy Guenot, directeur acquisition et CRM.
Grâce à une “logique d’autonomisation”, les équipes sur le terrain, au sein de chaque point de vente, ont pu s’approprier facilement les nouveaux outils. Résultat : alors que cela faisait 20 ans que des frictions persistaient entre informatique et marketing, “on parle aujourd’hui d’une seule et même voix. Et pourtant, ce sont les mêmes interlocuteurs. Si on a réussi, c’est parce que les outils nous le permettent aujourd’hui.”
Adapter ses KPIs aux enjeux
Tous les projets IA ne répondent pas aux mêmes objectifs, mais il est clair que lorsqu’ils sont bien exécutés, leurs bénéfices vont au-delà de l’impact financier : les critères d’évaluation doivent donc être adaptés à chaque cas de figure. Par exemple, chez Guy Hoquet Immobilier, c’est une division par deux du turnover des collaborateurs qui a été mesurée suite au déploiement d’un vaste dispositif de formation orchestré par l’agence Brainsonic, dont le passage à l’échelle a été permis par l’IA.
De façon plus systématique, au sein du groupe BPCE (Banque Populaire, Crédit Agricole, Natixis, Casden…), Luc Barnaud, le Chief Data Officer, opère une distinction entre deux types de projets : « l’IA pour tous » qui vise une démocratisation large et « l’IA transformante » qui cible les cas d’usage associés aux enjeux prioritaires du groupe. L’impact de chacun des deux types d’IA étant évalué selon des critères différents.
Chez SNCF Gares & Connexions, Morgane Castanier, Directrice Clients, Marketing et Technologies, a adopté la même segmentation, avec deux catégories de bénéfices : « ‘je fais la même chose avec moins de temps” – sur des sujets de productivité – et “je fais plus de choses dans le même temps” – pour de la création de valeur.
Cette distinction permet d’évaluer la rentabilité selon deux critères : les gains de productivité (automatisation de tâches existantes, réduction du temps de traitement, optimisation des processus) et la création de valeur (nouvelles fonctionnalités et services, innovation dans l’offre). Dans ce deuxième cas, l’impact est plus difficile à quantifier mais potentiellement transformateur pour l’entreprise.
Évaluer aussi les gains qualitatifs
Morgane Castanier souligne également l’importance des gains qualitatifs, eux aussi difficile à évaluer : « si vous gagnez 30 minutes dans votre journée grâce à l’IA, vous allez peut-être utiliser ce temps pour plus parler à vos collègues, pour aller partager un café avec eux, pour développer l’interpersonnel, le relationnel, des moments plus informels. Et ça, ça s’appelle la qualité de travail. »
Dans ses évaluations coûts/bénéfices, Morgane Castanier fait donc entrer en ligne de compte des données comme le temps gagné et le taux d’adoption par les collaborateurs, en regard des coûts par utilisateur et par mois.
Mais ce n’est là qu’un début : “on sent bien qu’avec le développement de l’IA agentique, on va devoir être beaucoup plus fins dans nos indicateurs. On va devoir regarder le temps de réalisation des tâches, la baisse des erreurs, l’augmentation de la traçabilité, la qualité des enchaînements… et même la valorisation de la donnée en sortie de processus, qu’on va pouvoir réintégrer dans nos systèmes”, prédit-elle.
Ne pas négliger, ni surestimer, les coûts cachés de l’IA
En miroir, les “coûts cachés” ont aussi parfois tendance à être négligés. C’est le cas notamment du coût de la collecte, du nettoyage et du traitement de la donnée, et plus généralement de sa gouvernance. Mais il ne faut pas non plus sur-estimer ces coûts. À écouter Antoine Genot, il faut au contraire les “piloter et les suivre”, pour pouvoir démontrer aux équipes que finalement, “le vrai coût de collecte de données n’est pas si élevé que ça”.
Parmi les autres coûts plus ou moins cachés, figure aussi la conduite du changement – qui inclut la formation des équipes et leur montée en compétences, mais pas seulement – ou encore la maintenance des modèles et leur mise à jour dans le temps. Sans oublier les coûts environnementaux, de plus en plus déterminants dans les choix technologiques.
Quid de l’évaluation qualitative des résultats produits par l’IA ? Cela reste un défi majeur, souligné par Pierre-Eric Beneteau, Partner IA et Expérience client chez Converteo dans sa présentation à propos de l’impact de l’IA sur l’expérience client : « on a souvent l’impression que mesurer l’impact d’un projet IA ou mesurer la qualité de service d’un agent, ça revient en fait à observer un trou noir« , constate-t-il, tout en ajoutant toutefois que “la réalité est beaucoup plus subtile”.
En effet, “si vous intégrez un modèle dans une plateforme que vous maîtrisez, là vous avez accès à toutes les données d’interaction, à des données de consommation et à des données de qualité de service”. À la clé, une meilleure “observabilité” et un calcul plus fin du ROI. Un argument qui va dans le sens d’une stratégie d’internalisation. Mais là encore, comme dans la plupart des projets technologiques, la question du “Make or Buy ?” se pose au cas par cas.
D’ailleurs, pourquoi considérer les projets IA différemment des autres projets de transformation ? Frédérique Ville, Directrice de Business Unit à La Poste et Membre du COMEX de la Branche Services Courrier Colis invite à revenir aux bases : « la première chose pour moi c’est de bien comprendre son business model. Où sont nos inducteurs de coûts et nos inducteurs de revenus ? Comment on va les faire bouger ? Et là, il y a trois dimensions qu’il faut regarder : People, Process et IT. » Trois dimensions à intégrer nécessairement dans ses calculs de ROI.