Roadmap AI – Comment sortir des expérimentations pour déployer l’IA à l’échelle ?

Tout s’accélère : c’est l’un des constats principaux à l’issue du Roadmap AI Marketing Day 2025. Mais le passage à l’échelle des projets IA reste encore difficile à opérer. En cause ? Des obstacles organisationnels et culturels, des enjeux de qualité et de gouvernance des données, ou encore une difficulté à mesurer le ROI… Comment les surmonter ? Éléments de réponses avec les retours d’expériences de Pernod Ricard, BPCE, SNCF Gares & Connexions, Kingfisher et Forrester.
Les facteurs clés de succès à retenir :
- Des équipes dédiées au sujet IA, pour piloter les expérimentations en parallèle du « run » et structurer le passage à l’échelle.
- Une priorisation fine des projets en fonction du ROI attendu, de leur cohérence par rapport à la stratégie globale de l’entreprise et de leur faisabilité technique.
- Une anticipation de l’industrialisation dès la phase de POC, en intégrant les contraintes de sécurité, de confidentialité et d’infrastructure existante, pour éviter les blocages techniques lors du passage à l’échelle.
- Une gouvernance IA spécifique, impliquant le top management, avec des comités de suivi réguliers et une validation des priorités business.
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Le constat est marquant : moins d’un tiers des marques sont réellement passées de l’expérimentation à la production et à l’industrialisation de leurs cas d’usage d’IA. C’est le chiffre partagé par Thomas Husson de Forrester dans sa keynote d’introduction de l’événement Roadmap AI Marketing Day 2025.
« La question, ce n’est pas de savoir ce que l’IA permet de faire. Potentiellement, elle permet de tout faire. La question, c’est comment est-ce que ça va vous permettre de répondre à vos objectifs métiers, à vos objectifs marketing », explique le Vice-Président et Principal Analyst de l’institut de recherche. Or, devant ce champ des possibles presque infini, la tentation est grande de se disperser… Ou au contraire de se trouver paralysé face à l’ampleur de la tâche.
Un mot d’ordre : prioriser
Pour Morgane Castanier, la Directrice Clients, Marketing et Technologies de SNCF Gares & Connexions, une évidence s’impose : « il faut sanctuariser des équipes », car « il est difficile de faire à la fois du ‘run’ et de la transformation. » Le rôle de ces équipes IA ? Cibler les cas d’usage, les tester, se tromper, ajuster… Mais aussi former les collaborateurs pour qu’eux aussi « se projettent dans les conditions de passage à l’échelle ».
Cette approche est également partagée – et implémentée – par Romain Roulleau, le Group Digital & E-Commerce Director de Kingfisher (Castorama, Brico Dépôt), qui peut s’appuyer sur une équipe d’une trentaine de collaborateurs dédiés à l’IA. Néanmoins, « vu le nombre de use cases possibles, aussi bien en front qu’en back, ce n’est pas 30 personnes qu’il faudrait avoir, c’est 300 ou 3000. Donc de facto, il faut prioriser », souligne-t-il.
Chez Kingfisher, cette priorisation est principalement réalisée en fonction d’un calcul de ROI prévisionnel, ce qui conduit à privilégier plutôt des sujets à court terme, « simples et rapides », capables de générer des bénéfices rapidement mesurables. Ces sujets sont souvent orientés back-office : c’est le cas notamment du développement d’une solution de screening automatique pour détecter les références non-conformes sur les marketplaces. Cet outil développé en interne permet de contrôler la qualité et la compliance des données produits avec des volumes importants, là où un contrôle manuel serait impossible.
Anticiper l’industrialisation dès la phase de POC
Pour aller au-delà du simple Proof-Of-Concept et faciliter à terme le déploiement à grande échelle des cas d’usage, Morgane Castanier met l’accent sur la nécessité d’intégrer dès cette phase de priorisation les contraintes du passage à l’échelle : « il s’agit de garantir un niveau de production tel qu’il est attendu des services informatiques, sans pour autant faire obstacle à la créativité », résume-t-elle. Dit autrement, « il faut être conscient, dès le départ dans le choix de son use case, de l’exigence de devoir ensuite le mettre à l’échelle, et de l’intégrer dans un écosystème déjà existant. »
Les préoccupations liées à la confidentialité des données et à la sécurité, qui sont des barrières importantes à l’adoption et au passage à l’échelle de l’IA, ont également tout intérêt à être prises en compte dès cette étape. De même que les limites techniques (pertinence, hallucinations, effet « boîte noire »…) qui pourraient entraver un passage à l’échelle. « Il y a des barrières assez fortes sur les cas d’usage qui tiennent aussi à la propension – ou en tout cas la capacité – des entreprises à accepter la moindre pertinence ou la dégradation de la qualité du service », note ainsi Pierre-Eric Beneteau, Partner chez Converteo dans sa présentation sur l’IA et l’expérience client.
En s’appuyant sur l’expérience de déploiement global d’une solution de Marketing Mix Modeling basée sur l’IA, Antoine Genot, Global Marketing Performance Director chez Pernod Ricard insiste, lui, sur un autre point. Il s’agit de l’importance de bien choisir son terrain de lancement, « avec un proof of concept qu’il faut dérouler très vite dans quelques marchés, de taille moyenne idéalement (parce qu’il ne faut pas que ça soit trop petit, sinon les gros marchés n’y croient pas). Mais il ne faut pas non plus que ce soit trop gros, parce que si on se plante, on ne veut pas se planter aux US ou en Chine. »
L’enjeu de la gouvernance
Pour Luc Barnaud, le Chief Data Officer du groupe BPCE, « la réussite d’un programme d’IA c’est 30% de tech et 70% de métier. » Conséquence : « il faut en permanence être sûr que les investissements qu’on fait et les priorités qu’on pose sont totalement alignés avec les priorités du métier ». Cet alignement avec les métiers et le plan stratégique du groupe est une condition indispensable pour éviter de se retrouver à faire « de la techno pour de la techno. »
Pour cela, « des gouvernances spécifiques Data & IA ont été mises en place avec les dirigeants des Banques Populaires et des Caisses d’Epargne, ainsi qu’avec tous les grands patrons de la structure centrale, dont le directeur des risques et le DRH. » Conséquence : « cela fait qu’en permanence, on est sûrs qu’on travaille sur les sujets prioritaires. »
Chez Kingfisher, c’est un « Venture Board » qui suit mensuellement l’avancement des projets IA stratégiques. Cette structure implique directement le PDG et la haute direction : environ la moitié de ses membres appartiennent au COMEX ou aux comités de direction des enseignes.
Trouver les bons arguments pour convaincre
L’importance de la validation des cas d’usage par le top management est d’ailleurs une recommandation forte de Forrester, qui note que dans la plupart des organisations, le PDG n’est pas (encore) le principal responsable de la stratégie IA. Ce sont d’abord les DSI, les CIO et les CTO qui ont le leadership sur ce sujet. « Un quart seulement des dirigeants métiers – en particulier marketing – sont en charge de la stratégie autour de l’IA. Alors que l’enjeu est évidemment celui du modèle économique », relève Thomas Husson.
Celui-ci cite un exemple : le groupe Mondelez, qui a défini une roadmap très claire en lien avec son business plan. « L’ordre de grandeur dont on parle, c’est plusieurs dizaines, plusieurs centaines de millions d’euros d’économies, avec des cas d’usage qui sont très clairement priorisés, sur la production à l’échelle de contenus, pour la personnalisation, le commerce digital, les interfaces conversationnelles, etc. Mais tout cela suppose effectivement un engagement du comité exécutif », souligne-t-il.
Un atout dont bénéficie le groupe L’Oréal : Xavier Meunier, Global Media Platforms Director, explique qu’il bénéficie d’un « sponsorship du leadership extrêmement élevé », avec de « bons sponsors au bon endroit pour pouvoir appuyer sur le bon bouton et accélérer plus rapidement ». De quoi permettre aux équipes média du groupe de dépasser rapidement la phase d’exploration de l’IA pour entrer dans le déploiement à grande échelle de ses cas d’usages.
Néanmoins, comme le relève Morgane Castanier, ce travail d’évangélisation n’est jamais totalement achevé : « il faut avoir les mots et la conviction pour convaincre les boards que [l’IA] n’est pas une option, c’est une vraie priorité. Et ce, d’autant plus dans un contexte très contraint économiquement, parce que ça va faire gagner la productivité. » Chez SNCF Gares & Connexions, ce travail de conviction passe par une évaluation précise du ROI des projets, y compris au-delà des indicateurs financiers classiques. Mais c’est à chaque structure de trouver les bons arguments, en fonction de son contexte et de sa stratégie.