IA et Product Management : quel(s) impact(s) pour les métiers et les compétences ?

Article Product management 17.09.2024
Par David Spire

Dans tous les domaines, l’IA générative bouscule les différents métiers. Le Product Management ne fait évidemment pas exception : de fait, l’IA fait évoluer en profondeur le quotidien des équipes product... David Spire, Partner de la practice Product de Converteo, revient sur les bouleversements en cours et à venir pour ces métiers.

 

A retenir

  • Avec l’IA générative, le rôle de Product Manager (PM) s’enrichit de nouvelles compétences plus techniques, dont la capacité à “prompter” et à orchestrer la collaboration des différents outils ;
  • Les profils de PM “full-stacks” vont devenir plus courants au sein des équipes : ces généralistes vont pouvoir s’appuyer sur l’IA pour gérer un produit de A à Z, de la recherche utilisateur au prototypage, en passant par l’animation du delivery ;
  • Les équipes vont devoir monter en compétence non seulement dans leurs usages des outils intégrant l’IA, mais aussi dans la compréhension de certaines de leurs limites et biais – des règles de gouvernance et des processus normalisés vont devoir être définis ;
  • Pour cela, des dispositifs d’acculturation et de formation s’avèrent nécessaires, tout comme le renforcement du rôle de “ProductOps”, qui, par son regard orienté process et outils, déjà très tourné vers la data, est le mieux à même d’accompagner cette transition.

 

Créer des questions pour les entretiens utilisateurs, synthétiser les avis à propos d’une application, normer des spécifications ou structurer un backlog de fonctionnalités avec GPT4 ou un autre LLM ? 

Avec l’IA générative, les équipes produit bénéficient désormais d’outils de plus en plus puissants pour les accompagner dans toutes les phases de leur travail… même si ceux-ci ne sont pas dénués de défauts et de biais.

 

Prenons quelques cas d’usages :

  • Dans la recherche utilisateur, par exemple, l’IA vient faciliter la création de questionnaires et l’analyse de feedback. L’IA peut en effet permettre de traiter de grandes quantités de données qualitatives, pour identifier des tendances et suggérer des pistes d’amélioration. 
  • Dans la conception, la génération de maquettes et de prototypes via des outils d’IA accélère considérablement le processus de design. Ces outils peuvent produire des dizaines de variations de design en quelques secondes, permettant aux designers de se concentrer sur l’amélioration et la personnalisation plutôt que sur la création initiale. Bien plus encore, l’IA est en mesure de capitaliser sur l’historique de performance des designs passés, dans l’optique de toujours chercher à proposer des interfaces qui fonctionnent (chose quasiment impossible à l’échelle humaine).
  • Dans le domaine de la rédaction, l’optimisation de l’UX writing avec des outils d’IA générative va bien au-delà de la simple correction grammaticale. Les IA permettent désormais d’adapter le ton, le style et le vocabulaire en fonction du public cible, tout en respectant les contraintes de marque et d’accessibilité.
  • Dans la gestion des incréments agiles, la structuration de backlogs et la normalisation de spécifications deviennent plus efficaces. Ces outils peuvent suggérer des priorités basées sur l’analyse de données historiques, prédire les temps de développement, et même identifier les potentiels goulots d’étranglement dans la roadmap.

 

Cette liste n’est évidemment pas exhaustive ! D’autant plus que les modèles et outils s’enrichissent quasi-quotidiennement de nouvelles fonctionnalités et améliorent régulièrement leurs capacités.

Toutefois, ils présagent d’un certain nombre d’éléments de rupture, qui vont certainement venir transformer en profondeur les métiers du Product, dès cette année (2024).

 

Une nouvelle “core skill” à acquérir

Pour les Product Manager, cette arrivée de l’IA générative dans le quotidien des équipes rend nécessaire l’acquisition de nouvelles compétences, parmi lesquelles le « prompting », ou l’art de formuler des instructions précises aux outils IA. Cette expertise va bien au-delà de la simple formulation de requêtes ; elle implique une compréhension approfondie du fonctionnement des modèles de langage, de leurs capacités et de leurs limites.

Ainsi, alors que le métier de PM va être de plus en plus tourné vers l’usage des outils d’IA et la maîtrise des LLMs, savoir choisir les bons outils, leur donner les instructions pertinentes et orchestrer leurs interactions va devenir un incontournable. Aujourd’hui, un PM peut s’appuyer sur un premier outil d’IA pour générer des idées de fonctionnalités, un autre pour évaluer leur faisabilité technique, et un troisième pour créer des maquettes préliminaires,… En attendant l’arrivée des “agents” intelligents qui seront capables de gérer de manière autonome des tâches plus complexes et de solliciter directement leurs utilisateurs pour résoudre des problèmes lorsque nécessaire.

A la clé, avec ces nouvelles compétences, le PM peut espérer se libérer du temps et gagner en disponibilité auprès de ses équipes et des différentes parties prenantes qui l’entourent – renforçant ainsi la dimension managériale du poste. Par exemple, là où le PM passe aujourd’hui du temps conséquent à écrire des requirements pour les transmettre ensuite aux équipes de développement, il pourra demain les générer avec un simple prompt. Ce qui lui permettra d’avoir davantage de temps à consacrer aux relations avec ces équipes d’ingénieurs, autour de discussions à plus forte valeur ajoutée.

 

Vers une généralisation des PM “full-stacks” ?

Autre conséquence à anticiper : la généralisation des profils “full-stacks”. C’est-à-dire des Product Managers capables de gérer un produit de A à Z, avec une maîtrise parfaite et presque autonome de toutes les phases du cycle de vie du produit.

Cette polyvalence va être rendue possible par la démocratisation des outils IA qui simplifient des tâches autrefois réservées aux spécialistes. Par exemple, un PM pourra utiliser des outils de text-to-image pour créer rapidement des visuels de concept, des outils de génération de code pour prototyper des fonctionnalités simples, ou des outils d’analyse de données pour extraire des insights utilisateurs sans nécessiter une expertise approfondie en data science.

Cependant, cette polyvalence ne signifiera pas que ces PM remplaceront les experts spécialisés. Plutôt, ils agiront de plus en plus comme des « chefs d’orchestre », capables de comprendre et de coordonner les différents aspects du développement produit, tout en sachant quand faire appel à des expertises plus pointues le moment venu. Dit autrement, le PM aura toujours besoin de collaborer avec un Designer, mais il pourra dégrossir le terrain, tout en maximisant l’impact de son collaborateur sur des aspects plus précis du design ou du test utilisateurs.

Pour l’heure, ces PM “couteaux suisses” sont encore rares et donc difficiles à trouver sur le marché. Ils ne sont d’ailleurs pas forcément justifiés, puisque dans la plupart des cas, les projets nécessitent des compétences bien ciblées. Mais le développement des outils d’IA générative va grandement faciliter leur émergence. 

 

Développer l’esprit critique et la prise de recul

Mais que l’on soit spécialiste ou “full-stack”, attention à ne pas s’en remettre totalement aux résultats fournis par l’IA : comme dans tous les domaines, le recours croissant à l’IA doit aller de pair avec une prise de recul et le développement d’un esprit critique vis-à-vis des outils. Concevoir un produit à partir de l’IA générative n’empêche pas de mettre en place des mécaniques de vérification, bien au contraire.

Les hallucinations de l’IA, c’est-à-dire sa tendance à générer des informations fausses ou incohérentes avec assurance, peuvent être particulièrement problématiques dans le contexte du développement produit. Un PM pourrait, par exemple, se fier à des spécifications techniques générées par l’IA qui semblent plausibles mais sont en réalité irréalisables ou incompatibles avec l’architecture existante du produit.

Les biais de l’IA, quant à eux, peuvent prendre différentes formes : biais de genre dans la génération de personas utilisateurs, biais culturels dans la conception d’interfaces, ou biais de confirmation dans l’analyse de données de marché. Ces biais peuvent conduire à des décisions produit qui excluent certains segments d’utilisateurs ou perpétuent des stéréotypes préjudiciables. 

Face à ces risques d’hallucination et de biais, les équipes product doivent donc développer une capacité à vérifier et valider les éléments générés avec l’IA. Cela peut passer par l’utilisation de techniques de « red teaming » consistant à tester et remettre en question systématiquement les résultats de l’IA ou par l’intégration de phases de validation utilisateur pour s’assurer que les solutions générées par l’IA répondent réellement aux besoins du marché, sans oublier la formation continue des équipes sur les limites et les biais connus des modèles d’IA utilisés.

 

Un nécessaire accompagnement des équipes

Conséquence : l’un des chantiers de l’année 2024 pour les équipes produit et design est donc de “normaliser” et structurer les modèles opératoires autour de l’IA, en définissant notamment des règles de gouvernance. Cette normalisation est essentielle pour minimiser les risques et faciliter l’adoption de l’IA à grande échelle au sein des organisations.

Surtout, les équipes produit vont devoir être accompagnées activement dans cette transition : une acculturation individuelle est un bon point de départ, mais il faudra aussi que les entreprises orientent cette acculturation et mettent en place des formations, sur un mode itératif. Du temps doit être dégagé pour ce nécessaire effort de montée en compétence.

Dans ce processus, le rôle du Product Ops devrait se trouver renforcé : avec son regard opérationnel orienté outils et processus, déjà très tourné vers la data, il est le mieux placé pour accompagner la montée en compétence des PM, PO et designers et, ainsi, simplifier l’appropriation de l’IA. Toutes les équipes product n’en intègrent pas encore, mais ce rôle a toutes les chances de devenir indispensable !

 

Inscrivez-vous à notre newsletter dédiée aux métiers du Product Management :

Par David Spire