Qualité du trafic, marketing à la performance et guerre d’audience dans le monde de la presse
Suite au billet de Thomas en réponse à la tribune d’Eric Bennephtali fondateur de Mediastay sur le JDN, je suis tombé sur un excellent article d’Augustin Scalbert (Eco89). Si Thomas remettait en question les arguments mis en avant par Eric pour défendre la qualité de son trafic, Augustin pour sa part dénonce certaines pratiques utilisées par des éditeurs de presse pour avoir la plus forte audience. Le point commun entre les deux articles : Mediastay et les loteries en ligne.
Pour poser le cadre, et comme je sais que tous les lecteurs de Blog-Conversion ne sont pas des spécialistes du monde de la pub, il faut se rappeler que sur l’ensemble des médias, le support qui décroche la première position en termes d’audience va empocher une surprime en termes de budgets d’annonceurs. Dans le cas de l’Internet, en grossissant un peu le train, on pourrait dire que les agences média vont concentrer les budgets des annonceurs sur le site avec la plus forte audience, et que les autres sites éditeurs vont devoir se partager les miettes. C’est un héritage des médias traditionnels avec une vision mass market. L’Internet et ses audiences fragmentées, c’est révolutionnaire, alors on s’accroche à ce qu’on maîtrise 😉
Vous comprenez donc qu’être le premier de la classe en termes d’audience est l’objectif n°1 de l’ensemble des éditeurs de presse pour récupérer le maximum de budgets d’annonceurs et compenser la perte de leurs revenus offline.
Par ailleurs, il faut aussi se rappeler que le marché de la pub a besoin d’un outil de mesure utilisé par tous pour comparer et créer un classement des audiences. Pour Internet, l’outil choisi est la mesure par panel avec notamment le panel Médiamétrie – Net Ratings qui fait office de mètre étalon.
Augustin dénonce dans son article les pratiques des éditeurs de presse qui profitent de certaines failles du système pour doper leur audience Parmi les pratiques évoquées, je reviendrai surtout sur deux d’entre elles qui font écho au billet de Thomas : le ciblage des panélistes et la mauvaise qualité du trafic.
Ciblage des panélistes
Le panel Médiamétrie – Net Ratings est composé de 25 000 internautes. Ces 25 000 internautes sont censés être représentatifs de l’ensemble des internautes français. Par le passé, la mesure panel a déjà démontré ses limites. L’Internet étant un média avec des audiences fragmentées, Médiamétrie – Net Ratings n’a pas eu le choix et a augmenté courant 2008 la taille de sa base de panélistes pour rester représentatif de l’ensemble des usages et des internautes français. Par ailleurs, Médiamétrie – Net Ratings recrutait avant 2008 les panélistes par téléphone fixe… Un gros biais puisque nous sommes aujourd’hui nombreux à ne posséder qu’un mobile. Les leçons ont été tirées : la taille du panel a été augmentée (de manière suffisante ?) et le mode de recrutement (utilisation du mail) semblerait en en phase avec les caractéristiques des internautes français. Ces changements n’ont pas été sans conséquence, on aura notamment vu des audiences multipliées par 3.
Si la notion de représentativité du panel était déjà délicate, Augustin évoque dans son article des acteurs comme KDP Groupe ou Mediastay qui seraient parvenus à cibler les panélistes dans les audiences qu’ils génèrent, ce qui permet d’artificiellement augmenter les audiences en remettant en cause la représentativité. Ces acteurs ne savent pas forcément précisément qui est panéliste, mais ils ont pu identifier que le trafic qu’ils généraient contenait une sur représentation de panélistes. En ciblant plus ou moins les panélistes, on utilise une faille de la mesure par panel et on obtient un moyen très efficace de progresser rapidement en audience.
La qualité du trafic
Un éditeur de presse promet à ses annonceurs que l’audience de son site est composée de visiteurs à la recherche d’informations. Malheureusement, lorsque un journal en ligne travaille avec un site de loterie, avec validation obligatoire de la grille en cliquant sur une bannière partenaire, il y a fort à parier que le joueur ne voulait pas vraiment prendre le temps de lire des articles… Augustin met donc en avant qu’une partie de l’audience annoncée est donc composée de visiteurs qui sont là pour de mauvaises raisons. Les annonceurs seraient donc trompés sur la qualité du trafic.
Concernant la qualité du trafic renvoyée vers les éditeurs de presse, je vous renvoie aux articles que nous avons déjà publiés sur la question sur Blog-Conversion. Je persiste à dire qu’il est nécessaire de mettre en place de vrais indicateurs mesurant la qualité du trafic notamment en travaillant sur la notion d’implication avec le temps passé par visite, le nombre de pages vues par visite et la conversion finale sur les objectifs du site.
La mesure site centric comme solution ?
Les panels sont une méthode de mesure héritée d’un autre temps, lorsque les médias n’étaient pas intéractifs (télé, presse papier, affichage, radio). Le web est un média interactif. Dit autrement, il y a un retour d’information qui en fait un miroir sans tain. Pourquoi alors continuer à utiliser des panels ? Si vous vous connectez chez vous et au travail, avec une mesure site centric classique, vous serez comptabilisé comme deux visiteurs. Si vous supprimez vos cookies, vous serez à chaque suppression de cookie considéré comme un nouveau visiteur. L’enjeu concerne donc le dédoublonnement, pour atteindre la notion suprême de visiteur unique.
Nous avons déjà évoqué précédemment quelques limites de la mesure panel. Chaque méthode de mesure possède ses défauts et mesure un aspect différent d’une même réalité. Par exemple, la mesure site centric ne serait pas biaisée par le ciblage d’une population.
Pour faire le tour de la question, il faut également évoquer deux autres aspects exigés par le marché de la pub concernant l’outil de mesure. J’ai dit quelques lignes plus haut que la mesure devait être commune à l’ensemble des acteurs du marché. Le panel étant indépendant des sites, il respecte normalement cette caractéristique. Imposer le même outil site centric n’est pas forcément aisé. Google doit rêver secrètement que Google Analytics, solution gratuite, soit installé sur l’ensemble des sites, potentiellement en parallèle d’autres outils. Mais encore faudrait-il ensuite que Google puisse jouer le rôle de tiers indépendant qui publie le classement des audiences. Avec Adwords, on est dans une situation juge et parti qui ne fait pas de Google l’acteur idéal pour ce casting.
L’autre aspect demandé à l’outil de mesure d’audience est de donner des informations sur le profil des internautes. Lorsque vous recrutez un panel et que vous installez un logiciel espion, vous maîtrisez l’association entre le profil de la personne et ses sessions de navigation. Les outils site centric sont aujourd’hui gênés aux entournures lorsqu’il s’agit d’aller plus loin dans la collecte d’information. Au-delà des problèmes technologiques, les questions de respect de la vie privée liées seraient assez pointues, pour preuve les problèmes soulevés par le ciblage comportemental et les projets de Facebook.
Vous l’aurez compris, la mesure panel a encore de beaux jours devant elle, mais je milite pour ma part pour des méthodes hybrides (panel + site centric + network centric), car finalement, toute mesure mérite d’être challengée et remise en question perpétuellement pour prouver sa pertinence.