“10 % de cookies tiers, est-ce toujours utile ?” : ce que change, et ne change pas, l’annonce de Google sur les cookies tiers
Dans un billet de blog publié le lundi 22 juillet, Google annonce ne pas renoncer aux cookies tiers, et entend mettre “en place une nouvelle expérience dans Chrome qui permettra aux utilisateurs de faire un choix éclairé, qui s’appliquera à l’ensemble de leur navigation sur le Web”, a expliqué Anthony Chavez, vice-président de Google chargé de la solution Privacy Sandbox. Pourquoi un tel revirement, quelle signification, quelles conséquences pour les annonceurs et l’ensemble de l’écosystème ? Deux des meilleurs experts du marché croisent le regard pour décrypter cette décision : Guilhem Bodin, Partner, expert des enjeux média, et Adrien Hug-Korda, Directeur Digital Trust & Compliance chez Converteo.
Pourquoi cette annonce de Google intervient elle maintenant ?
Guilhem Bodin – Il n’est pas surprenant que Google ait finalement pris cette décision, compte tenu des inquiétudes manifestées par les autorités de contrôle et de régulation, aussi bien à la Commission européenne que du côté de la Competition and Markets Authority au Royaume Uni (CMA). Même son de cloche ces derniers mois du côté de l’industrie de la publicité digitale après les premiers tests de la Privacy Sandbox, chez Criteo ou Index Exchange notamment. La tendance générale était de s’accorder sur le fait que les alternatives proposées ne répondaient pas à l’ensemble des attentes du marché.
Nous ne savons pas encore à quoi ressemblera la solution évoquée par Anthony Chavez, mais le choix sera laissé à l’utilisateur d’accepter ou non les cookies au niveau du navigateur. Il faut donc s’attendre à une nouvelle baisse des taux de consentement (optin). Dans une méthode théorique qui se rapprocherait de l’App Tracking Transparency (ATT) d’Apple sur iOS, le taux de consentement pourrait être entre 20 et 30 %, or avec une part de marché d’un peu moins de 60 % en France, cela signifierait que les cookies tiers persistent pour environ 10 % des utilisateurs.
Adrien Hug-Korda – L’annonce d’une future solution au niveau du navigateur permettant aux utilisateurs de faire un choix éclairé n’est pas étonnante non plus. C’est d’ailleurs une possibilité envisagée depuis longtemps par le législateur européen : cette piste était déjà évoquée lors de la dernière évolution de la directive ePrivacy, dès 2009, et est reprise en France par l’article 82 de la loi informatique et libertés. Cependant, la CNIL s’est exprimée sur ce sujet dans ses lignes directrices de 2020, estimant que les navigateurs ne permettaient pas réellement de recueillir un consentement valide, notamment parce qu’il était impossible de définir au niveau du navigateur des choix « par finalité », c’est-à-dire par catégorie de cookies.
Google va donc devoir à nouveau collaborer avec les autorités de contrôle pour faire évoluer son navigateur afin de satisfaire aux exigences du duo ePrivacy/RGPD. Ce processus risque de s’avérer complexe, et de prendre du temps.
Les annonceurs tentaient de se préparer au mieux à la fin des cookies tiers : cette annonce change-t-elle la donne ?
AHK – Ce serait une erreur que de tout mettre en pause pour les annonceurs qui avaient d’ores et déjà entamé leur transition vers un environnement “cookieless”, car rien n’a changé en réalité : les cookies tiers ne représentent pas une solution pérenne pour le marketing digital.
En effet, certains navigateurs tels que Firefox ou Safari ont déjà, et ce depuis longtemps, déployé des fonctionnalités limitant drastiquement les capacités d’usage des cookies tiers, ce qui concerne environ un tiers des internautes en France, et plus encore pour les entreprises de certains secteurs tels que celui du luxe.
De plus, si le couperet – maintes fois repoussé – de la dépréciation des cookies tiers dans Chrome semble avoir pour le moment disparu, la solution alternative évoquée par Google aura elle aussi un impact conséquent sur la performance des solutions de tracking basées sur les cookies tiers.
GBO – La réalité du consentement utilisateur aux cookies tiers en 2024 exclu de facto de 30 à 50 % des internautes qui ne peuvent pas être rattachés à une action marketing.
Si l’on ajoute à cela le suivi très peu fiable, voire quasi impossible, des parcours dits cross-domaines, cross-navigateurs et cross-device, et de manière générale l’omnicanalité des parcours clients, il est clair que considérer encore le cookie tiers comme l’alpha et l’oméga du tracking est une erreur stratégique à ne pas commettre.
Les annonceurs sont obligés de continuer à travailler sur leurs chantiers “cookieless”.
Quelles sont les principales alternatives aux cookies tiers à l’heure actuelle ?
GBO – Les annonceurs doivent continuer à tester et s’approprier les nouvelles solutions pour la mesure, l’optimisation et le ciblage publicitaire
Sur le sujet de la mesure, comme le marché est fragmenté en fonction des terminaux, des navigateurs, du consentement, la data est absolument centrale et il faut être en capacité de la modéliser via des méthodologies dites de Marketing Mix Modeling. Il est important de pouvoir réaliser des A/B tests dans les plateformes, de construire des approches de ré-attribution grâce à la modélisation.
Dans l’optimisation quotidienne des campagnes, l’ensemble des plateformes demandent à avoir plus de signaux pour bien piloter et optimiser, il faut continuer à déployer des approches server-side, activer la data de son CRM, ce qui nécessite d’être plus agile sur la data 1st party. Mon conseil : ne tardez pas à accélérer sur vos chantiers de Customer Data Platform.
Enfin concernant le ciblage publicitaire, si les méthodes historiques du retargeting basée sur le cookie peuvent persister, ils risquent de perdre fortement en pertinence du fait des faibles volumes. L’intérêt des ID Universels et des solutions de la Privacy Sandbox à des fins de ciblages prospectifs ou de retargetings restent totalement crédibles et doivent continuer à être testés dans l’ensemble des plateformes publicitaires concernées. Notre conseil est de maîtriser les tests pour confirmer la pertinence des ciblages et des capacités de personnalisation des messages.
AHK – Les principales plateformes publicitaires offrent déjà des solutions de mesure et de ciblage basées sur les données first party des annonceurs (l’adresse email d’un utilisateur, par exemple). Ces solutions présentent de nombreux avantages : les identifiants utilisés sont plus pérennes que les cookies tiers, et permettent de réconcilier des événements provenant de différents environnements, tels que des conversions en magasin physique ayant été motivées par une exposition publicitaire en ligne.
De plus, ces solutions peuvent être déployées en “server-side”, c’est-à-dire via un serveur proxy sur lequel l’annonceur a la main avant le partage des données (hachées) avec ses partenaires média. Dès lors, cette solution octroie aux annonceurs un plus grand contrôle, et une meilleure visibilité, sur l’usage de la donnée de leurs utilisateurs par les plateformes publicitaires par rapport aux solutions basées sur les cookies tiers.
GBO – Pour les acteurs du retail media, la décision de Google leur offre sûrement un peu de répit ; ils peuvent se projeter un peu plus longtemps avant d’arriver à la saturation de leurs cookies tiers. Mais les défis restent importants à quiconque veut réussir à adresser et personnaliser les messages sur des consommateurs utilisant Safari par exemple, ou en dehors de tout consentement.
A retenir
Finalement Google ne serait-il pas en train d’accélérer la fin des cookies tiers ? A quoi pourrait bien servir un cookie qui ne touche plus que 10 % de la population française ? Sans date ni détail de la solution proposée les annonceurs restent totalement dans le flou. Ce qui est certain, c’est que si le régulateur valide l’approche de Google, l’impact pourrait arriver très rapidement, surtout au rythme des mises à jour quasi mensuelles du navigateur Chrome.
Nous sommes convaincus chez Converteo que les annonceurs doivent continuer de transformer leur marketing :
- en structurant les principaux chantiers d’optimisation de la collecte et du consentement utilisateurs dans un monde omnicanal,
- en repensant l’utilisation de la donnée client avec plus d’agilité,
- centralisant l’ensemble des data marketing afin de repenser les cas d’usage de la mesure de l’attribution des activations.
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