Quels défis digitaux dans l’audiovisuel ?
Historiquement « Data Poor » les acteurs de l’audiovisuel ne possédaient que très peu de données sur leurs audiences et devaient s’en remettre à des tiers comme Médiamétrie pour avoir une connaissance statistique de leurs téléspectateurs.
Les différentes plateformes OTT (1) (MyTF1, France.tv, 6Play…) et dans une certaine mesure les plateformes de vidéo de rattrapage adossées aux Box TV représentent dorénavant, pour les acteurs historiques, une réelle opportunité de devenir « Data Rich » en collectant et en activant de la donnée sur les utilisateurs.
Cette transformation est d’autant plus pressante que de nouveaux acteurs (Netflix, Amazon Prime Video, Molotov TV…) ont su parfaitement tirer parti des données de leurs utilisateurs et établir de nouveaux standards pour ce marché.
Converteo dresse ici le panorama des opportunités et des défis digitaux à relever par les acteurs de l’audio-visuel pour opérer une transformation indispensable dans un contexte plus concurrentiel que jamais.
Défi #1 : Collecter et réconcilier la donnée multi-écrans / multi-supports
C’est le prérequis indispensable pour apporter de la valeur aux utilisateurs : collecter de la donnée et la rapprocher des différents usages.
Pour ce faire les acteurs de l’audiovisuel peuvent capitaliser sur une approche déjà bien installée sur le marché : le login. En effet, en incitant/obligeant les utilisateurs à créer un compte, les différents usages (desktop, app mobile…) peuvent facilement être réconciliés.
En associant cette démarche à la collecte de données comportementales (pages vues, contenus consommés, pourcentage de lecture…) les acteurs peuvent construire un premier socle data à même de les aider à implémenter des premiers cas d’activation.
A ce titre, les DMP des acteurs média peuvent par exemple s’avérer utiles car elles permettent de construire une vision réconciliée des utilisateurs en fonction des usages (ex : création d’un compte sur desktop et ouverture d’une newsletter sur mobile, login sur desktop et sur mobile…) et permettent de créer automatiquement les audiences associées.
Si ces approches sont déjà répandues, d’importants défis sont pour autant à venir. C’est le cas par exemple de la réconciliation des consommations vidéo sur les Box TV (IPTV) : à l’heure actuelle seuls quelques acteurs ont initié des projets d’appairage (2) (TF1, M6…) avec des succès mitigés. A l’avenir, la collecte et la réconciliation de données directement depuis les espaces de vidéo de rattrapage permettra d’enrichir considérablement les profils clients en construisant la vision enrichie par leurs usages et leurs préférences.
Enfin, à plus long terme, la vision 360° des usages des utilisateurs pourra se construire également par un partage de données avec les opérateurs télécom qui sont à même de fournir de la donnée sur les usages tv linéaire (ex : faible vs forte consommation) et digitaux (dans le respect des réglementations : loi des postes et télécommunications, RGPD…).
Défi #2 : Enrichir les profils utilisateurs
Une fois les premières actions de collecte de données utilisateurs mises en place, le défi repose sur la construction de profils utilisateurs enrichis.
Les freins historiques ont aujourd’hui été levés du fait :
- D’environnements Big Data accessibles (Google Cloud Platform, Microsoft Azure, Amazon Web Services…) et qui se déploient simplement
- De la démocratisation des expertises de Data Science et des outils associés
En revanche, si la création des modèles est simplifiée, l’industrialisation et l’automatisation des cas d’activation peut parfois nécessiter de gros efforts et notamment sur les écosystèmes qui ne sont pas naturellement ouverts sur l’extérieur. A titre d’exemple, une DMP aura des capacités de profilage bien loin de ce qu’on peut réaliser avec un environnement Big Data (scoring, détection d’appétence, prédiction d’attrition…), mais permettra d’activer très simplement les audiences via les liens natifs avec les Adservers, Google Adwords…
Défi #3 : Personnaliser l’expérience vidéo/audio
Une fois les profils utilisateurs mis en place, il reste à les activer via différents leviers pour maximiser le ROI des investissements déployés.
- Certaines fonctionnalités permettent de personnaliser les plateformes pour les utilisateurs et d’améliorer l’expérience utilisateur : c’est le cas par exemple de la reprise de lecture cross-device ou des bookmarks des contenus favoris
- Certaines fonctionnalités permettent d’améliorer l’engagement sur les plateformes et donc le nombre de vidéos vues comme la recherche personnalisée en fonction de l’historique de consommation, la recommandation de contenus, la personnalisation des campagnes d’emailing, le ciblage des campagnes push…
- Netflix va particulièrement loin sur ces approches puisque l’entreprise va jusqu’à personnaliser les vignettes des contenus en fonction du type d’utilisateur afin de maximiser le nombre de vidéos vues (3).
- Les profils construits peuvent également être utilisés dans des logiques d’acquisition par exemple en optimisant les stratégies d’enchère SEA, en activant des audiences look-alike…
- A des fins de monétisation, la connaissance utilisateur peut être utilisée directement par la régie publicitaire des médias de manière beaucoup plus performante : vente d’un inventaire ciblé data sur les Box TV en Replay, qualification fine des audiences, constitution de segments look-alike…
Défi #4 : Innover et soutenir les nouveaux usages de consommation
En parallèle du sujet de la connaissance client, les acteurs de l’audio-visuel voient le marché se transformer en s’appuyant sur de nouveaux usages digitaux qui révolutionnent les attentes des utilisateurs.
Converteo a sélectionné ici quatre transformations majeures que vont devoir adresser les médias et leurs régies :
- Les Assistants Vocaux : annoncées comme la prochaine révolution des modes de consommation (89% des possesseurs d’assistants vocaux américains les utilisent de manière quotidienne), les enceintes connectées soulèvent de nouvelles problématiques digitales. Elles obligent par exemple à repenser l’expérience utilisateur, à suivre les recherches et les résultats, à assurer l’ingestion du catalogue des contenus pour assurer le référencement, à mettre en place puis à monétiser l’inventaire publicitaire des podcasts audio… A l’heure actuelle les investissements des acteurs français sont encore timides mais se développent rapidement : France info, Europe 1, France Inter et toutes les plus grandes radios ont déjà leurs skills Alexa (4), le groupe TF1 à lancé des services vocaux autour des recettes Marmiton ou des podcasts Telefoot, LCI propose un podcast info « L’essentiel de l’info »…
- La Réalité Virtuelle (VR 360°) fait également partie des nouveaux usages qui révolutionnent les modes de consommation vidéo. Les leaders de l’audio-visuel ont tous lancé des initiatives via des applications dédiées (6play 360 pour des reportages en immersion, MyTF1 VR orienté divertissements, France.tvSport 360 pour suivre les grands évènements sportifs de l’intérieur…)
Pour ces applications 360°, les principaux défis restent à venir :
– Pour les équipes de production : atteindre un seuil d’audience minimum, en proposant des contenus originaux
– Pour les équipes produit : tracker les différentes interactions au sein de l’application et améliorer les produits en continu
– Pour les régies : monétiser ces espaces et vendre cet inventaire publicitaire d’un nouveau genre
- Le Dynamic Ad Insertion : de nombreuses plateformes digitales proposent à leurs utilisateurs de consommer depuis les sites ou les applications le contenu diffusé en direct sur les flux linéaires. Les spots publicitaires visionnés sont alors les mêmes que sur le flux linéaire (à l’antenne) ce qui peut poser des problèmes de monétisation, de suivi et de certification des vues et ce qui empêche le ciblage de ces inventaires.
Afin de répondre à cette question, les médias ont la possibilité de mettre en place des solutions de Dynamic Ad Insertion (DAI) qui remplacent les flux publicitaires « live » par des flux « digitaux ». Si ces solutions permettent de mieux valoriser l’inventaire live sur les canaux digitaux, elles sont parfois complexes à implémenter techniquement et posent des questions d’expérience utilisateur :
– La qualité visuelle du spot ne doit pas être dégradée par rapport à la qualité du flux
– L’utilisateur ne doit pas subir de latence entre le décrochage du flux et le lancement du spot publicitaire
– Lorsque l’inventaire digital n’est pas complètement vendu, il est nécessaire de définir des règles de rattrapage du flux antenne
- Le ciblage linéaire/TV adressée : reposant sur une évolution des législations, des technologies et des relations avec les Fournisseurs d’Accès Internet, le ciblage publicitaire sur le contenu des antennes (ou TV adressée) est très attendu par les annonceurs comme les régies média.
Comme le ciblage en rattrapage, ce ciblage permettra de personnaliser les contenus publicitaires en fonction des données foyer : données sociodémographiques, code postal de la box, profil de consommateur télé ou OTT, données annonceur onboardées…
A titre d’illustration, la TV segmentée permettra par exemple :
– à une caisse d’assurance régionale de cibler une campagne TV sur les foyers de la région
– à un tour operator régional d’exclure les foyers de sa région ou des départements limitrophes de sa campagne TV
– à un groupement de cinémas de cibler sa campagne de fidélité sur les gros consommateurs de flux internet (donc potentiellement appétents films et séries)
– à un constructeur automobile de privilégier les zones urbaines pour diffuser une campagne sur les voitures électriques
– …
A la clé, les annonceurs espèrent pouvoir optimiser leurs campagnes TV dont le ROI est souvent remis en cause en les diffusant uniquement sur les cibles pertinentes.
Pour conclure :
Le secteur de l’audiovisuel vit aujourd’hui une révolution aussi importante que l’invention de la télévision couleur. Conscients des enjeux, les acteurs du marché se sont déjà engagés dans leur transformation interne en mettant en place des équipes et des écosystèmes dédiés (DMP, Marketing Automation, DataLake…).
A terme, cette transformation permettra aux médias de répondre aux attentes de consommateurs de plus en plus exigeants, en proposant une expérience enrichie (contenu 360°…) et personnalisée (recommandation de contenu, recherche personnalisée…) à la hauteur de ce que propose les Pure Player du secteur (Netflix, Molotov, Amazon Prime…).
Néanmoins, afin de relever les défis digitaux auxquels le secteur fait face, trois facteurs clés de succès paraissent plus que jamais indispensables :
- Un sponsorship de haut niveau et une sensibilisation du top management permettant de débloquer des investissements à la hauteur des enjeux ;
- Une réelle capacité à prioriser les cas d’usage et à construire une feuille de route cohérente parmi tous les leviers marketing à disposition des équipes : CRM, personnalisation, recommandation de contenu, reprise de lecture sur mobile ou box TV, alerte sur les programmes, replay disponible quelques minutes après la diffusion linéaire… ;
- Une capacité à exécuter (organisationnelle, technique) alignée sur les besoins et la feuille de route.
(1) Over The Top : Un service par contournement (ou offre hors du fournisseur d’accès à l’internet ; en anglais over-the-top service ou OTT) est un service de livraison d’audio, de vidéo et d’autres médias sur Internet sans la participation d’un opérateur de réseau traditionnel (comme une compagnie de câble, de téléphone ou de satellite) dans le contrôle ou la distribution du contenu. (Source : Wikipedia)
(2) Appairage : Il s’agit d’une pratique consistant à associer une Box TV identifié par un ID unique IPTV à un compte utilisateur sur une plateforme OTT (web, application…)
(3) https://medium.com/netflix-techblog/artwork-personalization-c589f074ad76
(4) Application permettant de personnaliser l’expérience et de créer des commandes vocales sur Amazon Echo, Echo Dot et Echo spot : https://developer.amazon.com/fr/alexa-skills-kit
Auteur : Thibauld Vian, Manager, Practice Data x Business Consulting