Marketplace : l’âge de raison ?

Article E-commerce 12.01.2024
Par Antoine de Sainte Marie

Antoine de Sainte Marie est Manager chez Converteo. Ses sujets de prédilection s’articulent autour du cadrage stratégique en e-commerce et de l’innovation. Il partage avec nous ses convictions sur les facteurs clés de succès propres au modèle marketplace.

 

A retenir

  • Les marketplaces représentent plus de 62% des ventes e-commerce mondiales en 2023, leur chiffre d’affaires ayant été multiplié par 4 en France entre 2012 et 2020.
  • Sur certains marchés, saturés, les marketplaces sont en difficultés car elles ne satisfont pas certains facteurs clés de succès pour attirer et fidéliser vendeurs et acheteurs.
  • Il est nécessaire de questionner la pertinence des assortiments, la stratégie d’acquisition de trafic, la proposition de valeur pour les acheteurs et les services à destination des vendeurs 

 

Dominant désormais plus de 62% des ventes e-commerce dans le monde en 2023, les marketplaces redessinent le paysage du e-commerce. En France, cette dynamique est tout aussi marquée, le chiffre d’affaires des marketplaces ayant quadruplé entre 2012 et 2020. Cependant, malgré ces succès éclatants, certaines marketplaces sont en difficulté, échouant à maîtriser les facteurs clés propres à ce modèle.

En B2C, l’ascension vertigineuse des marketplaces est tirée par l’exigence des attentes des acheteurs : un assortiment produit vaste et varié, des prix compétitifs malgré l’inflation, et des options de livraison toujours plus pratiques et rapides.

En B2B, le modèle marketplace s’impose comme pertinent pour digitaliser l’ensemble d’une chaîne de valeur, incluant prestataires de services, sous-traitants et parties prenantes externes, et ce dans un contexte pénurique.

Dans les deux cas, l’effet de “plateforme” permet à la marketplace de valoriser son trafic, et même de le monétiser via une offre de retail media : le modèle est donc vertueux pour l’opérateur, les acheteurs et ses vendeurs. Les marketplaces font aujourd’hui de l’ombre au dynamisme affiché dans les années 2010 par les sites multimarques, désormais écrasés sous le poids des coûts d’acquisition croissants, des frais logistiques astronomiques et d’une offre limitée. 

 

Ce qui n’empêche pas certains acteurs d’être en difficulté

Adosser une marketplace à une plateforme e-commerce existante n’est pas un gage de succès. Pour preuve, si Mango s’est orienté vers cette approche en 2021 pour développer le cross-sell sur des produits non disponibles dans l’assortiment initial, la marque espagnole a annoncé la fermeture de sa marketplace en 2023, faute de réelle création de valeur. 

Certains marchés sont saturés par un nombre croissant de marketplaces généralistes ou spécialisées qui essayent de capter des parts de marché sans réel élément différenciant.

26% des 100 premières marketplaces ont un taux de croissance annuel moyen négatif entre 2020 et 2022.

Rakuten s’est par exemple vu contraint de fermer ses marketplaces européennes une à une en 2020 (UK, Autriche, Espagne et Allemagne), à l’exception de la France. 

Cette concurrence accrue tire les prix vers le bas, ce qui met en péril la rentabilité des marketplaces, liée aux volumes de ventes (abonnement et commissionnement). Malgré une nette accélération de ses performances durant la pandémie de Covid-19, CDiscount subit ainsi de plein fouet la concurrence d’Amazon sur le marché français. 

Quant aux marketplaces locales, plébiscitées après le Covid-19 pour favoriser le commerce de proximité, leur développement, favorisé par la Banque des Territoires, “s’est avéré un échec, ne correspondant aux attentes ni des consommateurs ni des commerçants”.

Dernier exemple en date, la marketplace de Business France répertorie 22 500 produits Made in France disponibles à l’export pour des acheteurs B2B, sans pour autant ne donner la possibilité d’y effectuer une transaction…

Enfin, les acteurs chinois (Shein et Temu en tête) grignotent à leurs tours des parts de marché avec des produits à bas prix, expédiés depuis la Chine.

Au-delà des enjeux environnementaux et éthiques autour de ces pratiques, les acheteurs sont séduits par ces plateformes. De la même manière, l’émergence des plateformes de seconde main, le social commerce et le drop-shipping concurrencent les marketplaces traditionnelles.

 

 Définir les facteurs clés de succès en lien avec attentes

Si le simple fait d’adosser une marketplace à une plateforme e-commerce n’est pas un gage de réussite, c’est parce qu’il est primordial d’adresser certains facteurs clés de succès pour pérenniser le cercle vertueux entre opérateur, vendeurs et acheteurs.

 

  • La pertinence de l’assortiment

Pour développer leur attractivité, les marketplaces se différencient grâce à leur assortiment. D’une part, cela se traduit par une sélection méticuleuse de produits du catalogue : 53% des acheteurs jugent la pertinence de l’offre comme décisive dans leur choix. La curation garantit la largeur et la profondeur de l’offre en sécurisant la présence des catégories stratégiques, mais élimine aussi le grey market, assurant ainsi la fiabilité des produits vendus. 

D’autre part, la compétitivité tarifaire est essentielle : 62% des consommateurs sont attirés par des prix avantageux. Les marketplaces encouragent leurs vendeurs à être compétitifs par rapport aux prix pratiqués par la concurrence, tout en maintenant des marges suffisantes pour leur rentabilité.

Ces stratégies requièrent une approche commerciale et un recrutement ciblé des vendeurs, pour assurer une offre alignée avec les attentes des acheteurs.

 

  • L’acquisition de trafic

Face à la hausse généralisée des coûts d’acquisition, l’optimisation du référencement naturel (SEO) des marketplaces est à considérer : la lisibilité de l’arborescence, la qualité des contenus textuels et les différents liens de redirection en sont la colonne vertébrale.

Les marketplaces doivent ensuite être en mesure d’activer d’autres leviers d’acquisition ciblés (SEA, Social, CRM, affiliation) en développant des synergies avec leur calendrier d’animation promotionnelle.

Pour ce faire, le développement de la notoriété sur les réseaux sociaux joue un rôle crucial, tout comme la définition de cibles précises et leur activation.

Le développement d’une marketplace peut être aussi l’opportunité de valoriser et de monétiser un trafic naturel existant. Les visites additionnelles constituent néanmoins un incrément pour développer la conversion.

 

  • L’expérience, en accord avec les attentes des acheteurs

Dans un paysage très concurrentiel, la capacité des marketplaces à développer une proposition de valeur forte à destination des acheteurs est un avantage compétitif, source de fidélisation en B2B et en B2C. 

  • En B2B, les acheteurs s’attendent à des fonctionnalités qui favorisent la relation avec les vendeurs et la collaboration à long terme : prise de devis, personnalisation des commandes, mécaniques d’identification de produits techniques, et prix dégressifs en fonction des quantités.
  • En B2C, les acheteurs privilégient les marketplaces dont l’expérience d’achat est avancée : diversité et rapidité des options de livraison, variété des modalités de paiement et qualité du service après-vente. 

 

  • Le bon niveau de services pour les vendeurs 

En monétisant leur audience grâce au retail media, les opérateurs de marketplace offrent aux vendeurs la possibilité de cibler les acheteurs potentiels pour gagner en visibilité. Ceci explique le dynamisme de la 3ème vague du marketing digital : il ne se passe pas un mois sans qu’une marketplace de premier plan ne fasse une annonce quant au développement de son offre de retail media.

En parallèle, les plateformes doivent offrir un back-office technique robuste pour les vendeurs. Cela inclut des rapports accessibles et détaillés, la possibilité d’exporter des données pour une analyse plus approfondie, et la capacité de créer des flux avec des systèmes existants pour une intégration et une gestion efficaces des stocks et des ventes.

En ce qui concerne la délégation logistique, les opérateurs peuvent s’adapter à la maturité des vendeurs en proposant des solutions logistiques flexibles. Certains d’entre eux préfèreront ainsi confier le stockage, l’expédition et les retour de produits à la marketplace, service popularisé par le “Fulfillment by Amazon”. 

Finalement, un onboarding vendeur efficace participe à la création d’un catalogue attrayant. Accompagné d’un CMS, une intégration fluide et une expérience optimale sont garanties aussi bien pour les vendeurs que les acheteurs.

Souhaitant rationaliser la distribution en ligne de leurs produits, les marques prennent en considération le potentiel économique des marketplaces, et assoient leur décision d’en activer une plutôt qu’une autre sur des critères complémentaires : adéquation avec la cible en termes d’audience, complexité opérationnelle, niveau d’intégration technique, services disponibles…

 

Développer une marketplace implique des investissements humains, techniques et financiers considérables. Dans un contexte de concurrence accrue, maîtriser les facteurs clés de succès et de différenciation est une exigence pour convaincre acheteurs et vendeurs.

Pour trouver son modèle économique, la marketplace doit atteindre une masse critique lui permettant de développer un cercle vertueux pour l’ensemble de ses parties prenantes (opérateurs, vendeurs et acheteurs).

Les standards de ce modèle e-commerce n’ont de cesse d’évoluer ; ceux qui s’apparentaient hier à des gages de succès deviennent aujourd’hui des normes.

Si pour une marque, ne pas considérer la marketplace dans sa stratégie de distribution peut passer pour un oubli, pour un distributeur, vouloir bâtir une marketplace à tout prix est une erreur.

 

 

Sources

  • LSA, Marketplaces : le modèle gagnant de l’e-commerce ? , 2022
  • Mirakl, Report The State of Online Adoption, 2023
  • Statista, TOP100 Companies: Marketplaces, 2023
  • Cour des Comptes, La politique de l’État en faveur du commerce de proximité, 2023
  • Journal du Net, Business France lance sa marketplace, 2023

 

Contributeurs :

Mathilde Lassalle, Consultante Data & Business Consulting,

Clément Delille, Manager Data & Business Consulting,

Mehdi Fenjiro, Senior Manager Data & Business Consulting

Victor Fulconis, Partner Data & Business Consulting

Par Antoine de Sainte Marie

Manager Data & Business Consulting