Product Management : l’importance (urgente) de se réaligner sur la réalité économique des entreprises !

Article Product management 20.02.2024
Par David Spire

David Spire, Partner chez Converteo en charge de la practice Product management décrit le changement de paradigme dans la façon de concevoir des produits et les compétences et objectifs autour desquels les équipes doivent se restructurer pour s’adapter à cette nouvelle donne.

A retenir 

  • Nous nous sommes longtemps habitués à analyser le succès des produits par l’adoption des utilisateurs, l’esthétique du design et la fluidité de l’expérience.
  • Dans l’époque dans laquelle nous rentrons, le succès d’un produit repose largement sur la capacité des équipes à le rendre financièrement et opérationnellement pertinent pour le business
  • Les équipes Produit doivent tenter en permanence de concilier les objectifs de viabilité, de désirabilité (l’expérience utilisateur) et de faisabilité 
  • Les meilleurs profils seront ceux qui disposent dans leurs parcours professionnels d’expériences en dehors du champ du product management, leur apportant un regard plus global et riche pour faire face aux défis des organisations complexes

 

Quand nous parlons de product management, la première chose qui nous vient à l’esprit est celle du culte de l’utilisateur. C’est presque la seule raison d’être de la discipline, la norme qui défend le fait qu’au travers d’une compréhension fine des besoins des utilisateurs d’un produit, nous arriverons à atteindre le nirvana de l’impact. Nous avons tous été formés à l’importance de placer l’utilisateur au cœur de la conception d’un produit, et cela reste crucial.

Cependant, au travers de mes 15 ans de pratique dans le domaine, la plupart du temps, dans des environnements où le produit digital servait des intérêts métiers en dehors du numérique (dans les services et même dans l’industrie), j’ai appris à développer une perspective légèrement différente. J’ai observé que le succès d’un produit ne repose pas uniquement sur son adoption par les utilisateurs mais également sur la capacité des équipes à le rendre financièrement et opérationnellement pertinent pour le business. Cette pertinence se traduit à la fois par une contribution forte du produit au service du développement économique de l’entreprise, et par son intégration parfaitement ajustée dans l’infrastructure opérationnelle qui soutient cette même entreprise.

Je suis très heureux de voir émerger depuis quelques mois – je dirais que c’est une tendance qui s’est accentuée au cours de l’année 2023 – que de plus en plus de porte-paroles de la discipline s’engagent dans cette direction qui place le business au centre. C’est une bonne chose, et cela va certainement contribuer à renforcer une approche plus concrète et affutée du product management dans les mois et années à venir.

Je souhaite partager ici quelques-unes de mes convictions les plus profondes, des partis pris qui orientent la plupart de mes décisions quotidiennes dans ce métier du Produit et qui visent, selon moi, à donner un cadre pour mieux aligner la discipline avec les réalités économiques d’aujourd’hui.

Retour vers un futur plus pragmatique

Avant de rentrer dans le vif du sujet, regardons un peu l’histoire.

Je pense sincèrement que nous sommes témoins d’un tournant majeur, celui qui marque la fin de ce que nous pourrions appeler La Belle Époque du digital. Cette belle époque a débuté il y a 30 ans : l’avènement d’Internet dans les années 2000 (ce paragraphe est très “boomer”) a été caractérisé par l’arrivée de produits digitaux révolutionnaires, qui ont radicalement transformé nos vies et ont ouvert la porte à une multitude de nouvelles possibilités. Ces innovations ont réinventé nos interactions sociales, à l’instar de Facebook, et ont modifié nos méthodes de travail, grâce à des outils plus récents comme Notion. L’objectif principal était de créer des expériences utilisateur exceptionnelles et enrichissantes. Focus sur les usages, avec un objectif comme un mantra : “changer le monde”.

Nous nous sommes tous habitués à analyser ces produits par le prisme de l’esthétique et de l’expérience. Ce qui me frappe le plus, c’est que nous avons même été jusqu’à développer des sortes de galeries d’art pour les exposer, je parle d’un Product Hunt par exemple, qui a lui seul a catalysé ce culte, à la limite parfois de l’idolâtrie. Nous nous sommes habitués à évaluer ces produits sous l’angle de la “beauté” et non sous celui de la pérennité des usages.

Ceci étant dit, l’époque de l’argent facile a fini par prendre fin, nous obligeant à redescendre sur Terre. Nous avons dû admettre que l’intérêt que nous avions développé pour ces « œuvres d’art » numériques devait être remis en cause, et que nous devions certainement modifier nos critères de jugement en intégrant une mesure de fiabilité différente, basée non seulement sur l’expérience utilisateur mais également sur la notion de cohérence économique. Cette prise de conscience a rappelé à tous l’importance de la fiabilité financière et opérationnelle d’un produit, au-delà de son design et de l’expérience qu’il propose – des aspects que nous avions eu tendance à oublier.

Alors j’interprète cette évolution comme le commencement d’une ère où notre sens du produit devient plus pragmatique. Désormais, l’accent est mis sur la recherche d’une durabilité et d’une rentabilité, dans un contexte où les produits doivent non seulement générer des profits mais aussi s’intégrer efficacement dans les processus opérationnels de l’organisation à laquelle ils appartiennent.

Réussir l’intégration du produit au sein de sa stack économique et opérationnel soutient son succès et sa pérennité à long-terme

Au fil des années, l’une des leçons les plus précieuses que j’ai apprises est que le succès d’un produit ou d’une fonctionnalité ne dépend presque que de l’efficacité de son intégration au sein de l’écosystème professionnel qui soutient le core-business de son entreprise.

J’avance souvent qu’un produit imparfait, déployé de manière optimale auprès de ses utilisateurs et de son organisation métier (il faut penser Service Blueprint), peut trouver le chemin du succès à travers des ajustements et des changements de direction. Il finira par être adopté et fonctionner. À l’inverse, un produit techniquement parfait mais mal intégré à son public cible et à son écosystème économique et opérationnel sera voué à l’échec. Il risque de sombrer dans l’oubli, aussi irrécupérable que s’il avait été confié aux profondeurs marines gardées par Davy Jones. C’est véridique, et j’en ai plusieurs fois fait l’expérience.

Au-delà de cette métaphore, l’essence de mon argument est que définir précisément comment un produit s’harmonise avec les fonctions soutenant l’activité principale de l’entreprise est tout aussi crucial que les aspects liés à l’expérience utilisateur et à la faisabilité technique. En valorisant et en comprenant les rôles de ceux qui facilitent le core-business, on assure non seulement une meilleure réception du produit mais également sa pertinence et sa viabilité à long terme.

Pour réussir cette intégration business, il faut revenir aux sources de la viabilité, de la désirabilité et de la faisabilité

Quand on pratique le product management ou qu’on s’y intéresse un tant soit peu, l’importance de considérer le produit sous les angles de la viabilité, de la désirabilité (l’expérience utilisateur) et de la faisabilité revient toujours. Ces 3 piliers, souvent représentés dans un diagramme qui croise le métier, l’ingénierie et l’utilisateur via l’expérience, servent de fondement à la discipline. En approfondissant l’application de ces concepts, nous trouvons de formidables leviers qui favorisent l’intégration du core-business dans la stratégie produit. La viabilité d’un produit fait référence à sa capacité à exister et à prospérer dans son marché. Cela inclut non seulement des éléments de viabilité fonctionnelle ; je prends souvent l’exemple d’un vélo avec des roues carrées, ce dernier est définitivement inviable “fonctionnellement”, mais aussi de viabilité économique. 

Cela semble évident : un produit doit générer un retour sur investissement significatif, essentiel pour soutenir l’économie de l’entreprise. Or cela ne l’est pas toujours. Évaluer la viabilité d’un produit implique d’examiner sa capacité à contribuer à la santé financière de l’entreprise. Cela nécessite une approche fondée sur l’analyse de la data, pour projeter le retour sur investissement et déterminer comment le produit soutiendra l’entreprise à long terme. Je pense que bien souvent, nous nous questionnons sur la partie visible de l’iceberg. Nous allons évaluer les conséquences à court-terme, la recherche d’un résultat visible, immédiat et rapide, car c’est comme cela que nous avons tous été formés. Mais assurer la viabilité du produit au sens business du terme, doit nous pousser à aller voir plus loin. Nous devons garantir non seulement que le produit créera du résultat, qu’il s’agisse d’un gain ou d’une économie, et qu’il sera aussi porteur d’une sorte de cercle vertueux à plus long terme.

La faisabilité quant à elle ne doit pas se limiter aux aspects techniques du développement produit. Mon point de vue est qu’un produit ne peut être considéré comme faisable que s’il peut être construit et intégré efficacement dans son écosystème opérationnel. Cela englobe d’aborder les défis techniques au même titre que les considérations réglementaires et celles liées aux contraintes opérationnelles.

J’ai pu expérimenter de manière flagrante ce propos en travaillant au développement des solutions de check-in à distance dans une expérience passée. Nous avions pour ambition de construire un parcours permettant à un client d’hôtel de réaliser son enregistrement de chambre au travers d’une interface exclusivement digitale. Dans certains pays, cela nécessitait de prendre en compte des étapes de vérifications des documents d’identité –c’était un prérequis qui imposait d’imaginer un parcours biométrique, avec scan de documents légaux et reconnaissance faciale. Une telle fonctionnalité devait à l’évidence être viable techniquement, mais elle devait également être conforme aux contraintes des législations locales. La prise en compte de ces contraintes a tout simplement été particulièrement critique pour concevoir le produit et toutes ses caractéristiques.

 

C’est au fond le rôle du product manager que d’identifier les leviers digitaux qui favoriseront le développement et la pérennité de l’entreprise, et de savoir le faire avec la prise de hauteur nécessaire qui lui permettra de porter cette viabilité fonctionnelle et surtout économique sur le long terme. Il doit également être en mesure de comprendre finement l’organisation de l’entreprise, les processus opérationnels et tous les métiers associés, pour garantir qu’il n’y aura pas d’écueil au moment du déploiement. Il doit pour cela disposer des compétences nécessaires qui, selon moi, se retrouvent dans sa capacité à comprendre et à interagir avec des enjeux métiers qui dépassent la dimension technologique et digitale, au cœur de son rôle. Je pense sincèrement que seuls les profils “T-Shaped”, associant une expertise Product pointue à un champ de compétences élargi, sont en mesure d’adresser ces besoins, et que les meilleurs sont et seront ceux qui de facto disposent dans leurs parcours professionnels d’expériences en dehors du champ du product management, qui leur apportent une certaine richesse et un regard élargi.

Les 4 super-pouvoirs dont doivent disposer les équipes Produit, pour y arriver

Au-delà des soft skills que je décris plus haut, je définis ici quatre domaines où chaque product manager, chaque équipe Produit, devrait exceller –c’est selon moi un prérequis indispensable pour réussir à se construire dans un environnement définitivement centré sur le business. Je me suis appuyé sur les échanges réalisés au cours des derniers mois avec plusieurs dizaines de leaders d’équipes Produit, pour la plupart dans des organisations assez complexes. Ils ont souligné presque unanimement que le succès de leurs équipes à développer des fonctionnalités performantes et alignées avec les enjeux du métier reposait presque toujours sur quatre enjeux essentiels: la gouvernance, l’adaptabilité, la productivité, et l’exploitation stratégique de la donnée. 

 

La gouvernance amène l’idée que l’un des enjeux majeurs réside dans la capacité de l’équipe à structurer et à définir les processus d’échange avec les métiers. Parce qu’au sein de la plupart des organisations, et cela est d’autant plus vrai que l’organisation est grande et complexe, les product managers ont souvent la lourde tâche de mobiliser un large éventail de parties prenantes internes, et la plupart du temps, ces interlocuteurs restent difficiles à satisfaire. Naviguer à travers ces demandes, surtout lorsqu’elles émanent d’un utilisateur clé aux idées arrêtées, peut s’apparenter à une véritable épreuve. Dans ce contexte, l’établissement d’un cadre de gouvernance robuste devient essentiel, voire critique, pour assurer le succès des équipes Produit. Ce cadre implique la mise en place de règles de priorisation bien définies et l’harmonisation des objectifs de tous les acteurs, qu’ils soient formalisés par des OKRs ou non. Cette démarche est fondamentale pour naviguer efficacement dans un environnement aussi complexe.

 

Lorsque j’évoque l’adaptabilité, je fais référence à la faculté de l’équipe à répondre avec justesse et avec précision aux évolutions souvent tranchées de son environnement. Ces évolutions peuvent inclure le remplacement d’un dirigeant qui implique une nouvelle stratégie globale, la mise en place d’une nouvelle structure, ou d’un autre pivot stratégique. De telles circonstances peuvent exercer une pression considérable sur les équipes Produit, les obligeant parfois à revoir entièrement leur approche pour s’aligner sur ces nouveaux paramètres. Imaginez un haut dirigeant qui annonce que la priorité absolue pour les six mois à venir devient le déploiement d’une campagne marketing stratégique supportant une innovation en intelligence artificielle –tout s’arrête, et l’attention se concentre uniquement sur cet objectif. Face à cela, deux réactions sont possibles : céder à la panique, suspendre toutes les activités en cours pour se conformer à cette demande ; ou, de manière plus stratégique, prendre du recul, ajuster la feuille de route, redistribuer les rôles et responsabilités pour atteindre l’objectif visé tout en préservant autant que possible les autres priorités. Il est essentiel de comprendre que la réussite dépend grandement de cette capacité à adopter la seconde approche.

 

La productivité doit être un mantra d’équipe, qui favorise la livraison rapide de résultats. Cela sous-tend que l’équipe est en mesure de répondre rapidement aux exigences du métier, qu’elle puisse à la fois travailler avec calme son plan produit et traiter avec urgence les impératifs imposés par le business. L’équipe doit être capable à la fois de préserver son niveau de qualité et son bien-être mental, et doit pouvoir développer un modèle qui lui permette de lancer fréquemment des fonctionnalités impactantes (et visibles – car personne ne comprend jamais “pourquoi les développements mettent autant de temps”). Selon moi, la productivité est un pilier d’excellence qui doit être la propriété de l’équipe – c’est elle qui doit s’auto-gérer et se challenger sur cet aspect.

 

Maîtriser la donnée est aussi un élément incontournable, dans le sens où cette maîtrise doit permettre de développer un équilibre parfait entre l’intuition, qui guide les convictions les plus profondes de l’équipe, et la nécessité d’apporter une objectivité irréfutable dans les prises de décisions. Une compréhension approfondie et une exploitation adéquate de la donnée permettent d’apporter cette objectivité indispensable à chaque étape du cycle de vie du produit, de la recherche utilisateur et l’analyse d’insights à la priorisation des idées et au suivi de la performance. Ce savoir-faire en matière de data est essentiel pour affiner l’approche de l’équipe, soutenir ses arguments et optimiser continuellement le produit sur la base d’une confiance toujours plus forte dans l’impact qui sera délivré.

Ces quatre piliers structurent une démarche qui favorise à la fois la mesure et la manière de conduire une équipe de product managers vers un certain niveau d’excellence, dans des contextes business à la fois vastes et variables. C’est un schéma qui, de facto, peut s’appliquer à toutes les organisations qui cherchent à mieux imbriquer leurs développements de produits digitaux avec le business, bien au-delà des grands groupes, peu importe leur taille et leur domaine d’activité.

 

Gardons à l’esprit que rien n’est jamais acquis. Je pense sincèrement que les éléments que j’expose font partie d’un cadre qui peut permettre à une équipe Produit de réussir, avec plus d’impact sur le business. Qu’il s’agisse des soft “T-Shape” des product managers ou de la capacité de l’équipe à correctement adresser la gouvernance, son adaptabilité, sa productivité, et sa maîtrise de la donnée –tout demeure une histoire de prise de conscience et de volonté de progrès. Alors, prêt à relever le défi ?

Par David Spire

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